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Basta ! Quand on est pauvre, on n’a pas d’enfans... Faites avancer le canot que nous remorquons ; toi, Cecco, descends l’Aiguille.

Elle désignait ainsi une minuscule nacelle qu’on avait suspendue à notre bordage, sorte de fisolera vénitienne où deux personnes pouvaient à peine tenir :

— Voici donc ce que nous allons exécuter. Sant’Angiolo avec son appareil de photographie montera dans le canot ; vous, monsieur Blondel, vous y occuperez une place d’honneur, et notre chère Rosine m’en voudrait à mort si je la séparais de son nouvel ami,

— Je ne souhaite la mort de personne, ma belle, mais je t’obéirai volontiers, riposta piquée et hargneuse l’ingénue d’opérette.

— Le coup de foudre, monsieur Blondel ! Quelle victoire sur un cœur de vierge !... Gennaro, vous conduirez leur embarcation ; quant à moi, je me réserve l’ Aiguille. Elle seule peut accoster une tête de rocher qui doit me servir de piédestal.

— Compris ! s’écria Sant’Angiolo... Un tapis de varechs sous tes pieds, Leucosia !... La Sirène dans son palais !

— Je préfère la pose de l’Astarté émergeant des ondes.

— Toujours ta fresque de Pompéi ?... Une obsession, ma chère !... Tiens-tu beaucoup à cette photographie ?

— Le journal l’Artista me l’a demandée ; on la reproduira en cartes postales, et j’en adresserai tout un paquet à la famille Campofiori... Maintenant, Cecco, démarrons.

Elle descendit dans la fisolère, qui bientôt s’enfonça sous l’ouverture de la falaise. Nous suivions, mais plus lentement. Gennaro proférait contre la « lupa » des kyrielles d’injures ; Sant’Angiolo fredonnait sa romance favorite ; Rosina se taisait, soucieuse, et moi j’admirais l’ordurière richesse du vocabulaire napolitain.


Le soleil montait sur l’horizon ; déjà le jour se glissait par l’étroit orifice de la Grotte ; mais l’extrémité de cette profonde caverne demeurait encore plongée en d’épaisses ténèbres. S’épandant peu à peu, la lumière produisait de fantasques et indescriptibles effets. Toute chose éclairée par elle se colorait d’une teinte d’émeraude : la voûte et les parois des murs, les deux embarcations, nos vêtemens, nos visages. Aucun souffle