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humaine, et complète abolition du « Moi, » — dont les manifestations épouvantent toute métaphysique, toute théologie, toute religion.

Effrayée d’abord, la Campofiori s’était vite rassurée ; même, elle adressait au somnambule de douteuses plaisanteries :

— Maudit moine ! Il m’a fait peur... Bonjour, mon révérend père : vous troublez notre répétition. Rangez donc, s’il vous plaît, votre barque... Voulez-vous écouter Leucosia, la Sirène qui tenta Lazare ?

Mais voici qu’entendant la voix provocante de Diva, le franciscain redressa la tête ; ses lèvres prononcèrent quelques mots : « Je vais t’obéir, Dieu vengeur ; » il se leva, et alors hautain, menaçant, ironique :

— Leucosia, Lazare est sorti du tombeau !... Esther Mosselman, je suis Marcel Lautrem.


XXII. — « VADE RETRO ! »

Longuement l’élève, la fiancée de Marcellus, regarda l’homme qui l’avait tant aimée. Elle vit ce blême et terreux visage, ces joues caves, cette bouche édentée, ces yeux éteints, ces cheveux grisonnans, ce front que sillonnaient les rides ; elle vit son œuvre de destruction, et un outrageant éclat de rire fut sa réponse.

— Esther Mosselman, reprit Lautrem..., j’avais manqué gravement à mon devoir. L’enfant de Teresa est tourmenté par un démon ; j’aurais dû accourir pour délivrer le fils de cette chrétienne ; mais je n’ai pas voulu franchir le seuil de votre maison.

— Vous avez eu grand tort, mon ami. La Sirena aurait offert à votre sainte personne bon souper, bon gîte, et peut-être le reste. J’y pratique la plus large hospitalité... Appelez-moi, s’il vous plaît : princesse.

— Esther Mosselman, Dieu triomphe aisément de nos lâches résistances. Il m’a poussé vers vous, — inconscient, dans la nuit, sur les flots, scellant mes yeux par le sommeil, abolissant en moi jusqu’à la notion de mon être, et me voici devant votre face.

— Permettez-moi, mon révérend père, de prendre une cigarette ; le prône menace d’être long, et je m’ennuierai moins en fumant.