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Elle tira de son manteau un mignon étui de vermeil, alluma placidement le tabac parfumé, puis s’installa sur un bloc de rochers qui formait saillie.

— Esther Mosselman, poursuivit Lautrem impassible,... les turpitudes de votre vie et l’impudente tranquillité de vos crimes scandalisent tout un peuple que Dieu daigna confier à ma garde. Depuis longtemps, j’aurais déjà dû vous chasser : Celui qui hait le Mal me demandera compte de ma faiblesse... Comprenez-moi donc. Vous allez, et dès demain, quitter votre Sirena, pour n’y plus revenir.

— Oui-dà ! Ingénieuse idée, mon cher ! Que me proposez-vous en échange ? Un grenier de musicâtre, près de l’empyrée, rue Vavin ? La salle de catéchisme où pérorait le petit vicaire, mon convertisseur ?... Mais vous n’avez même plus à m’offrir de pareilles voluptés.

— -Vous allez, Esther Mosselman, — le moine haussa la voix — sortir au plus tôt d’un pays dont vous êtes l’immonde perdition.

— Ah çà ! pour qui me prenez-vous, diseur d’insolences ? Suis-je votre pénitente ? Me comptez-vous dans l’imbécile clientèle de votre confessionnal ?

— Vous allez sortir de ce pays ; je l’ordonne, je l’exige.

— Il ordonne... Il exige... Voyez-moi ce frère-cordon qui se pose en dictateur !

— Vous obéirez,... vous obéirez, ou sinon...

— Des menaces ?... Achevez.

— Ou sinon, palais, jardins, équipages, meubles, joyaux, toilettes, tout flambera, et le salaire de vos prostitutions, le gain de vos empoisonnemens montera, fumée propitiatoire, vers le trône de l’Etre terrible.

— Très beau ! Vous fabriquez bien la phrase : je le sais... Venez donc me trouver, monsieur, vous et vos paysans : je recevrai.

— Et la cour d’assises, qu’en faites-vous, l’homme de Dieu ? interrompit Sant’Angiolo.

Le moine tourna la tête vers ce cabotin ; puis, avec une altière indifférence :

— Quand la justice humaine est impuissante, l’homme de Dieu prend sa place et châtie.

— Incendier ma demeure, c’est déjà fort aimable, ricana la