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semblaient raffermir pour longtemps le trône de la dynastie mandchoue.

L’édifice politique, jusqu’alors en équilibre instable, où les contrastes des conditions géographiques, l’antagonisme des intérêts économiques, la diversité des races menaçaient sans cesse de disloquer un assemblage hétéroclite de provinces plus vastes et plus peuplées que les États européens dont elles ont les haines ou les rivalités, allait, croyait-on, être consolidé par la forte armature de la centralisation. Afin de montrer leur confiance dans l’heureux dénouement de l’œuvre entreprise, les puissances européennes étaient disposées à faire cesser un cauchemar douloureux pour l’orgueil chinois, en rappelant leurs troupes d’occupation du Pe-Tchi-Li, en supprimant les gardes de leurs Légations. Cependant, quelques vieux missionnaires, quelques consuls oubliés dans leurs postes, quelques agens clairvoyans des Douanes Impériales, affirmaient, parfois, que l’ordre apparent, les traditions séculaires, le régime lui-même, allaient être emportés par une tourmente telle que l’orage de 1900 paraîtrait un léger zéphyr. Nous rappellerons aussi l’article prophétique publié ici même, il y a deux ans, par le général de Négrier[1]. Le général de Négrier était allé en Chine et il y avait distingué tous les symptômes d’une décomposition prochaine. Mais les observateurs les plus pessimistes n’imaginaient pas que trois mois suffiraient pour dresser une République puissante en face d’un gouvernement impérial aux abois.

Durant cette courte période, la Révolution a passé. Le programme de Kang-Yu-Ouei, qui, en 1898, séduisait par sa nouveauté le timide Kouang-Hsiu et causait le coup d’Etat de la despotique Tseu-Hi, ce programme, auquel la vieille souveraine avait dû se rallier à son tour, semblait insuffisant et désuet. La régénération chinoise, d’après les principes de la mentalité nationale que Confucius, Mencius et Lao-Tseu ont modelés, ne pouvait convenir à des théoriciens épris d’américanisme, et qui voulaient tenter un changement de décor à vue imité du Japon. Une évolution paisible et rationnelle paraissait trop lente à des patriotes ardens et pressés.

En décembre 1911, quatorze provinces sur dix-huit brisaient le lien qui les rattachait à Pékin ; une armée nombreuse, commandée

  1. Voyez la Revue du 1er août 1910.