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dans les forêts de la Côte d’Azur. Pendant les études du chemin de fer Lao Kay-Yunnan Sên, notamment, j’en vis un exemple expressif ; il peut être cité comme le type parfait des incidens qui occupent les loisirs des diplomates et dérangent les projets des voyageurs.

A trente kilomètres de Mongtse, les riches gisemens d’étain rassemblaient dans les mines de Ko-Chiu plusieurs centaines d’ouvriers ; la conduite des caravanes quotidiennes employait un nombre égal de mafous. Tout ce personnel travaillait paisiblement, extrayait le minerai, fondait les saumons ; les théories des chevaux de bat égayaient les abords de la Douane Impériale, et les négocians bénissaient les génies protecteurs de la cité. Soudain, un soir, vers cinq heures, le tao-taï de Mongtse avisa les Européens établis aux environs de la ville d’une effervescence insolite qui se manifestait chez les mineurs. A minuit, une troupe de 400 forcenés arrivait près des remparts, incendiait la Douane Impériale, voisine du Consulat de France, massacrait quelques serviteurs indigènes, poursuivait à coups de fusil les fonctionnaires européens qui purent à grand’peine se réfugier chez le tao-taï. Elle tournait ensuite sa fureur contre le Consulat dont les habitans, avertis par le tumulte, s’étaient éclipsés prestement pour se mettre en sûreté dans un yamen de la ville ; les émeutiers, secoués par une indescriptible et bruyante rage de destruction, mirent en pièces les archives, réduisirent en miettes la vaisselle et le mobilier, brûlèrent les vêtemens, défoncèrent le coffre-fort, abattirent le mât de pavillon, et traînèrent le drapeau français dans la boue. Le tao-taï, le général, les troupes régulières, la population, rassemblés sur les remparts, contemplaient ce spectacle, éclairé par une lune splendide et les flammes de l’incendie ; ils affirmaient leur réprobation par les sons des trompes de guerre et les détonations d’inoffensives coulevrines. Juché en observation sur le toit de la pagode d’un village voisin dont les habitans, apeurés, se terraient dans leurs maisons, j’attendais le dénouement prévu. Au petit jour, la bande s’évanouit dans la brume légère ; les guerriers de l’Empereur esquissèrent un mouvement offensif quand le dernier ennemi eut disparu à l’horizon ; les Européens, en costumes improvisés, se lamentèrent dans les ruines fumantes ; le général et le tao-taï placèrent des postes pour empêcher le retour improbable des pillards.