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son cerveau, accoutumé aux spéculations élevées de l’esprit, est rebelle aux calculs misérables du négoce.

Les vieux, les désabusés, ceux dont un tardif diplôme de bachelier guérit la blessure d’amour-propre sans éveiller l’ambition des emplois inférieurs, ouvrent des écoles que le prestige de leur titre ou de leur science achalandé promptement. Ils préparent à leur tour des candidats, et méritent parfois la vénération d’une province pour les succès de quelque élève aux examens suprêmes de Pékin, Les autres, s’ils ne se transforment pas en instituteurs, — avatar toujours possible dans un pays où l’enseignement privé n’a pas besoin de brevet, — deviennent conseillers d’affaires, satellites dans un yamen, archivistes ou comptables des sociétés secrètes ou des associations de marchands, employés de bureau chez des banquiers, des industriels ou des commerçans, secrétaires des conseils de notables dans les localités urbaines ou rurales, mais surtout écrivains publics. D’ailleurs, cette fonction convient mieux à leurs goûts d’indépendance, à leur vanité de lettrés malchanceux. Ils sont les confidens de la foule ignorante des faubourgs, des jonques et des champs ; ils la dominent par l’usure, par les services rendus dans les prétoires des juges, dans les contrats d’association, dans les règlemens d’intérêts. Ils lui commentent les nouvelles des journaux, les ordonnances de l’administration. Orateurs improvisés, ils excitent ses convoitises et ses rancunes, son chauvinisme et ses colères, en servant le plus souvent leurs propres vengeances et leurs haines de ratés. Ils détiennent en tout temps, dans les villes comme dans les campagnes, un pouvoir occulte et dangereux.

Les mécontens des classes bourgeoises ne l’ignorent pas. C’est aux déclassés qu’ils s’adressent quand ils veulent réduire l’hostilité des pouvoirs publics contre la réalisation d’un projet, l’exécution d’une entreprise, le succès d’une combinaison. Par eux, ils déchaînent une émeute, bouleversent un district. Et le soulèvement cesse avec la capitulation traditionnelle des mandarins, anxieux de ne pas attirer inutilement l’attention du gouvernement central, qui les récompense ou les punit d’après la tranquillité de la région qu’ils administrent. Dans l’Empire, dépourvu, jusqu’au timide essai de 1910, des garanties constitutionnelles, les contribuables n’avaient d’autre moyen que la révolte pour faire entendre leurs doléances à Pékin. « Pas