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réalisation de leurs desseins les groupes toujours disponibles d’émeutiers et leurs meneurs, ils n’étaient déjà plus eux-mêmes que des instrumens dans les mains des déracinés qu’ils avaient admis parmi eux.

Les déracinés sont d’institution récente. Ils ont fait leur apparition sur la scène politique après la guerre de 1895. Ce sont, presque tous, des fils de Chinois établis à l’étranger, enrichis par l’industrie ou le négoce, et que la fréquentation des écoles anglaises, américaines, japonaises, a frottés de vernis occidental. Quand leurs familles reviennent en Chine, après fortune faite, les nouveaux européanisés se plient difficilement aux usages nationaux qui leur paraissent ridicules. Les uns, riches, se fixent de préférence dans les « ports ouverts, » s’introduisent dans la société cosmopolite qui les habite, dont ils copient servilement les rites extérieurs ; ils deviennent des « gentlemen, » jouent au tennis, au polo, font courir, fréquentent les « Américaines, » et, parfois, causent politique entre deux cocktails. Les autres, disséminés dans les provinces de l’Empire, sont dévorés d’ambition. Ils souffrent de ne pas pouvoir prendre part à la direction des affaires publiques dont les écarte la privation des grades littéraires, les récompenses des concours traditionnels. Ils comparent dédaigneusement les diplômes surannés des mandarins, la science livresque et puérile qu’ils représentent, où la sûreté de mémoire et l’absence de personnalité ont la plus grande part, aux titres ronflans que leur ont parfois décernés de complaisans jurys. Avec leurs baccalauréats, leurs licences, leurs doctorats, leurs brevets d’ingénieurs ou de médecins, ils s’imaginent posséder l’expérience absolue, la connaissance parfaite des hommes et des choses. Si leurs aptitudes héréditaires les éloignent des sciences exactes, leur esprit subtil et raisonneur se plaît à nos doctrines philosophiques, qu’ils adoptent sans les comprendre et dont ils ne retiennent que les termes redondans. Des grandes villes et des capitales où ils jetèrent leur gourme en se façonnant aux usages européens, ils rapportent, avec le souvenir attendri des music-halls, un scepticisme prétentieux, une confiance aveugle dans les rêves politiques des théoriciens. Ils se découvrent des talens de réformateurs, des facultés de conducteurs d’hommes, qui n’ont pas d’utilisation possible sous un régime vermoulu. Il faut donc faire table rase du passé, fonder