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étrangères, en faisaient un personnage redoutable. Ses détracteurs, qui étaient nombreux, lui attribuaient de perfides desseins ; ils affectaient de lui supposer une ambition insatiable, que réaliserait bientôt sa connaissance pratique des coups d’Etat. Peut-être Yuan-Chi-Kaï eut-il, un instant, la velléité de remplacer à son profit par une dynastie chinoise la dynastie mandchoue, dont il connaissait la grandissante impopularité ; mais sa mentalité de finaud irrésolu n’en faisait pas un conspirateur dangereux.

Sa situation, à la vérité, était perplexe. Le frère du malheureux Kouang-Hsiu ne lui avait pas pardonné son rôle dans la triste destinée de l’empereur défunt. Un des premiers actes de sa régence avait été la disgrâce de Yuan-Chi-Kaï. Avec une délicatesse toute chinoise, il se montra douloureusement inquiet pour un abcès au pied, d’ailleurs imaginaire, qui exigeait, croyait-il, le repos absolu du vice-roi du Pe-Tchi-Li. Afin de montrer son affection à cet éminent serviteur et ami, il lui permettait de s’éloigner des affaires publiques pour se consacrer exclusivement à la guérison de sa maladie qui devait être longue ; le Ho-Nan était un pays délicieux où Yuan-Chi-Kaï pourrait se soigner en paix, loin des importuns. Docilement, Yuan-Chi-Kaï se démit de toutes ses fonctions et s’exila dans la retraite qui lui était assignée. Pendant deux ans, il y parut inactif, déguisant son dépit dans les satisfactions d’un matérialisme raffiné. Mais il entretenait des relations suivies avec ses anciens amis et cliens de Pékin et observait avec attention l’orage révolutionnaire qui grondait dans le Sud. Quand cet orage éclata, les financiers qui avaient fait avec lui de bonnes affaires, les sénateurs qui réclamaient une Constitution, Tang Chao-Yi son confident qui devenait ministre des Travaux publics, les partisans de la résistance qui escomptaient son prestige, demandaient au Régent son retour avec pleins pouvoirs. D’autre part, Li-Yuan-Houng, le généralissime des insurgés, avait été son meilleur élève et son collaborateur dans la réorganisation des troupes du Pe-Tchi-Li et les délégués des provinces rebelles, réunis à Nankin, l’invitaient à prendre la présidence du futur gouvernement républicain. Que devait-il faire ? L’option entre les deux partis se posait devant lui comme un problème plus difficile que celui de 1898.

Ses ennemis, qui ne désarmaient pas, l’accusaient de pencher