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mais le site dans lequel elles s’élèvent est ravissant. C’est une sorte de parc qui couronne toute la hauteur ; à chaque tournant des allées, on a des échappées sur les divers côtés du lac. Instinctivement, on songe aux sentiers de la villa Serbelloni qui dominent tour à tour les trois bras du Lario ; mais l’impression est ici plus austère parce qu’il y a trop d’images religieuses et moins de fleurs. Les arbres mêmes y prennent je ne sais quelle gravité. D’énormes pins, aux troncs droits et lisses comme des colonnes, s’érigent dans la lumière du jour tombant, peuple fraternel qui vibre au même souffle et frémit des mêmes frémissemens ; les petites chapelles blanches ont l’air de s’appuyer aux forts piliers de leur cathédrale. Un noble apaisement règne sur ce sommet d’où l’on embrasse tout le panorama. Déjà les villages tassés au déclin des coteaux s’estompent dans une poussière bleue. Le lac repose au fond de la coupe sombre des montagnes qui l’enserrent de leurs lignes harmonieuses. Sur l’autre rive, au-dessus de Pella qui s’endort dans ses bois de châtaigniers et de noyers, surgit l’extrême pointe du mont Ruse.

Avec le soir qui maintenant se meurt, je redescends vers Orta, jusqu’à l’albergo dont la terrasse, cachée dans la verdure, domine la ville. Déjà le ciel se drape de voiles soyeux. Une fine buée s’élève de la terre surchauffée, arrondit les reliefs, enveloppe les choses de souples velours. Les collines semblent à la fois se ‘-approcher et se faire plus lointaines. Des jardins aromatiques, les parfums montent plus forts. Autour de nous la nuit palpite, comme une aile veloutée. Presque aucun bruit ne la trouble. Le scintillement des étoiles anime seul la moire de l’eau que la lune, à son premier quartier, raie d’un mince trait de feu. Quelques rares lueurs clignotent sur le quai d’Orta. Les arbres indistincts dorment immobiles dans la mollesse de l’air.


II. — SARONNO

Depuis longtemps aussi, je désirais aller à Saronno. C’est là qu’on peut le mieux connaître Luini, le bon Luini, au nom doux et chantant qui évoque si bien la poésie des lacs au bord desquels il naquit, vécut et mourut. Nulle part il ne laissa autant de fresques ; or il est avant tout un frescante. Qui ne le juge que par ses tableaux de chevalet ignore le vrai génie de l’artiste qui, sur ces surfaces restreintes, n’avait pas la liberté