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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/341

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Par cette matinée de septembre où l’été agonise, une lumière fine se joue dans l’atmosphère et se répand en ondes calmes sur la campagne d’automne. Les splendides platanes, dont une quadruple allée relie le bourg de Saronno à l’église, baignent dans une clarté dorée. On marche sur un épais tapis de feuilles mortes ; leur odeur un peu aigre a je ne sais quoi de mélancolique et d’amer.

Voilà bien le type de ces sanctuaires d’art tels que je les aime, où l’on retrouve, sous un extérieur insignifiant ou médiocre, l’âme même d’un artiste. Presque rien n’y a changé après quatre siècles ; le snobisme cosmopolite n’y a pas encore pénétré ; et l’on peut y passer de longues heures sans être importuné par les touristes ou par les guides.

Tout le fond de l’église a été décoré par Luini. Ce sont d’abord deux figures de saints : Saint Roch et Saint Sébastien ; dans le passage menant au chœur : le Mariage de la Vierge et Jésus devant les docteurs ; dans le chœur même : l’Adoration des mages et la Présentation au temple ; sur les pendentifs et les parois supérieures : les Sibylles, les Evangélistes et les Pères de l’Église ; dans une petite sacristie derrière le chœur : Sainte Catherine et Sainte Apollonie, avec, sur les pans coupés, deux Anges portant une burette et un calice ; enfin, dans un couloir du cloître : une Nativité.

Devant les œuvres de Luini, j’éprouve presque toujours trois impressions successives. C’est d’abord un ravissement dû à la joie que donne à l’œil l’harmonie générale des teintes et du coloris. En entrant dans ce chœur, le mot de délicieux m’est tout naturellement venu aux lèvres. Puis, quand je regarde plus attentivement, les désillusions commencent : je trouve les groupes confus, les visages souvent inexpressifs, les perspectives presque toujours fausses. Les paysages notamment qui, à première vue, m’avaient séduit, sont mal construits et parfois même ridicules : dans la Présentation au temple, le monticule qui porte l’église de Saronno et qu’ombrage un unique palmier est d’une composition vraiment enfantine ; dans l’Adoration des mages, le défilé d’animaux chargés d’étranges petites valises est d’une puérilité qui touche presque au grotesque. Les physionomies sont fréquemment banales et les attitudes figées ; même la figure de Marie dans l’Adoration des mages et dans le Mariage de la Vierge est insignifiante et n’a aucun caractère. Enfin,