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lorsque, ayant bien examiné les œuvres en détail, je m’éloigne un peu et cherche à dégager une impression d’ensemble, voici que de nouveau Luini triomphe. Il y a tant de si jolis tons si habilement nuancés, tant de douceur et de suavité partout répandues que je ne songe plus à critiquer. Je suis conquis, comme par ces musiques dont je sais les défauts et la médiocrité, mais qui me prennent à la première mesure, dès que je les entends. Je ne remarque plus les erreurs qui m’ont choqué ; mon regard seulement s’arrête sur les choses exquises que Luini, ici comme ailleurs, a prodiguées. Dans l’Adoration des mages, par exemple, j’oublie le mauvais arrangement des groupes pour ne plus admirer qu’un beau page à tête léonardesque ou que les petits anges de la voûte. C’est d’ailleurs dans ces figures séparées qu’a toujours excellé Luini. Et je crois bien que je donnerais les grandes fresques du chœur pour la Sainte Catherine ou les Anges de la sacristie.

Nulle part l’âme du peintre, sa douce et tendre philosophie, sa foi souriante ne se devinent mieux qu’ici. Et il semble que, dans cet asile un peu isolé du monde, il ait échappé davantage au joug du Vinci et plus simplement laissé parler son cœur. On pressent ce que Luini, livré à lui-même, aurait pu devenir ; et l’on se dit que peut-être l’école de Milan, sans la venue de Léonard, se serait élevée aussi haut que les autres écoles italiennes et aurait eu en lui l’égal de Titien, du Corrège ou de Raphaël. Mais le grand Florentin n’eut qu’à paraître pour triompher. Toutes les sèves originales se tarirent. Les qualités de santé, de robustesse et de grâce des vieux maîtres lombards s’évanouirent comme par enchantement devant une gloire aussitôt devenue tyrannie. Les artistes ne songèrent qu’à imiter l’inimitable ; ils ne peignirent plus un visage sans lui donner le sourire et les yeux énigmatiques de la Joconde. Cette influence est si marquée dans les tableaux de Luini que plusieurs d’entre eux furent longtemps attribués au Vinci.

Dans ses fresques au contraire, Luini sauvegarda davantage son indépendance. Rien n’est plus différent, en effet, de la peinture longuement méditée et minutieusement retouchée du subtil Léonard que l’art de la fresque, rapide, jaillissant, primesautier, tout d’inspiration, où il faut travailler sur l’enduit frais qui ne permet ni l’hésitation ni la retouche. L’un, sur la toile, s’est efforcé de rendre les sentimens les plus mystérieux de