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plus grands maîtres de l’époque, il est juste de rendre hommage à ses mérites.

Avant d’entrer à S. Maria delle Grazie, j’ai voulu voir un de ses tableaux qui orne l’autel de l’église paroissiale, bâtie, au milieu de la ville, sur un rocher où l’on accède par un pittoresque escalier. Une inexactitude de Burckhardt pourrait laisser croire qu’il y a deux églises possédant un Mariage de sainte Catherine ; mais la Collegiata et San Gaudenzio ne sont qu’un même édifice. Ce tableau à six compartimens est d’une parfaite harmonie. Le Christ est très beau ; rarement fut mieux rendu ce corps sans vie qui pourtant n’est pas un cadavre puisqu’il doit ressusciter ; le fragment central représentant le mariage de sainte Catherine est également délicieux de composition et de couleur.

Mais c’est dans la fresque, comme Luini, que triomphe Ferrari, et son chef-d’œuvre est, à S. Maria delle Grazie, le vaste retable peint sur le jubé. La paroi est divisée en vingt et un panneaux retraçant l’histoire du Christ. L’ensemble n’est pas du tout monotone ; chacun des épisodes sacrés offre une remarquable variété d’exécution. A les regarder de près, il semble que Ferrari, sauf pour le dessin et la grâce, l’emporte sur Luini. Il a plus de mouvement et de puissance. Par momens, j’ai songé à Signorelli. On trouve des détails d’un naturalisme assez osé ; je ne vais pas, comme Corrado Ricci, jusqu’à parler de « modernisme. » Le vêtement déchiré d’un des flagellans, les attitudes des apôtres regardant Jésus qui lave les pieds de l’un d’eux, les effets de lumière dans la scène de l’arrestation, entre autres exemples, indiquent ses recherches et son souci de la vérité. Il lui arrive même d’exagérer. C’est ainsi que dans la grande fresque du Crucifiement, il y a de nombreux détails inutiles ou même ridicules : le diable qui torture le mauvais larron, le petit chien qui saute au premier plan, nuisent à l’émotion. On sent l’artiste ballotté entre les tendances naturalistes qu’il devait à ses origines et l’idéalisme des nouvelles écoles du centre de l’Italie ; mais ce qui justement lui assure une place à part, c’est d’avoir résisté au joug du Vinci. Quand il meurt, en 1546, on peut dire que la peinture lombarde a vécu.