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VI. — CÔME

Comment quitter la Lombardie et repasser les Alpes sans m’arrêter au bord de ce Lario où j’ai si souvent promené mes flâneries et mes rêves qu’il me semble y avoir vécu des années ? Mais, cette fois, au lieu de séjourner à Bellagio ou à Cadenabbia, je veux rester à Côme même et subir le charme de cette ville qui est plus aujourd’hui la cité de Volta que celle de Pietro da Bregia, l’architecte du Dôme et du Broletto, mais où l’on peut encore trouver de pures joies d’art.

Je me souviens d’avoir, à la suite de Maurice Barrès, raillé Taine qui, dans son Voyage en Italie, réserve plus de pages à la cathédrale de Côme qu’au lac sur les rives duquel il arrivait. Et certes, je ne me dédis pas entièrement, car le chapitre de Taine reste bien amusant. Quand l’auteur quitte Milan, il exulte : « Après trois mois passés devant des tableaux et des statues, on est comme un homme qui pendant trois mois a dîné tous les jours en ville ; donnez-moi du pain et pas d’ananas. On monte en chemin de fer l’esprit léger, sachant qu’à l’arrivée on trouvera des eaux, des arbres, des montagnes véritables, que les paysages n’auront plus trois pieds de long et ne seront plus enfermés dans quatre baguettes d’or… » Et, le lendemain, après avoir fait le tour du lac sans descendre de bateau, il consacre une courte page aux merveilles qu’il a eues sous les yeux et qu’il semblait désirer avec tant d’ardeur ; puis il ne résiste pas à la tentation d’aller visiter le Dôme et il écrit tout un chapitre où il disserte longuement sur l’heureux mélange de l’italien et du gothique et sur l’esprit de la Renaissance.

Maintenant que j’ai pu regarder en détail cette cathédrale, je comprends l’enthousiasme de Taine. Même à la fin d’un voyage d’Italie, elle peut retenir et séduire le touriste en quête de beauté. À côté du si joli Broletto de marbre tricolore, dont on dut amputer un tiers pour lui donner son plein développement, la façade est infiniment originale avec ses trois divisions marquées par des cordons verticaux de statues superposées. La partie médiane est particulièrement ouvragée et d’une grande richesse décorative. Le portail central, surmonté d’une rangée de cinq hautes figures et d’une rosace entourée de niches, est flanqué, à gauche et à droite, d’élégantes et minces fenêtres au-dessous