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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/354

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paru aussi beaux ; je déclarai qu’à la neuve saison, mieux qu’à l’automne, s’en goûtait le charme prenant. Ce n’est vrai qu’à un point de vue : la joie des yeux est plus complète au printemps. A travers l’atmosphère que n’ont pas encore souillée toutes les poussières de l’été, les moindres détails du sol apparaissent. Les collines, qui ferment si harmonieusement les rives sans les emprisonner, se colorent de nuances plus délicates ; elles dessinent mieux leurs courbes fines et leurs souples ondulations ; les arbres défeuillés ne les cachent pas sous le ton uniforme de leur ramure. La neige, qui recouvre encore les cimes, détache les crêtes et les pics sur l’azur et fait en même temps le plus émouvant contraste avec les arbres en fleurs. Et parfois l’on peut voir, au flanc de la même montagne, les pêchers agiter leurs écharpes roses au-dessous des forêts saupoudrées de givre, comme dans les contes de Noël.

Mais la profonde poésie de ce lac, son incomparable séduction voluptueuse ne se déploient vraiment qu’en septembre, quand la langueur et les parfums de l’été finissant flottent autour de nous en un perpétuel encens. Dans les allées embaumées des jardins, on songe aux bosquets du Tasse où, sous la persuasion odorante des fleurs, un héros sentit sa haine faire place à l’amour. Si d’autres lacs sont trop froids et trop étrangers à nos sentimens, celui-ci est plutôt trop soumis à nos désirs et trop favorable à notre sensualité. Les vrais amans y souffrent parfois de tant d’inutiles complicités et de joies qu’ils ne tirent pas entièrement de leur propre ardeur.

J’ai voulu retourner à pied jusqu’à Cernobbio pour revoir la villa d’Este, refaire le chemin que j’avais parcouru la première fois que je vins à Côme, En douze années, que de changemens ! Une multitude de maisons se sont élevées au bord de la route qui semble aujourd’hui la rue d’une seule ville s’étendant tout au long du rivage. Le progrès est toujours hostile à la nature et ennemi du pittoresque. Bientôt on ne marchera plus qu’entre des murs. Et comme la chaussée sera de plus en plus encombrée par les tramways et les automobiles, il faudra renoncer à cette promenade jadis délicieuse. Ah ! l’heureux temps où ces coins étaient si tranquilles, où l’on croisait seulement de paisibles touristes et de beaux équipages, où même, lorsqu’on longeait des propriétés privées, les arbres et les fleurs se penchaient si aimablement par-dessus les terrasses et à