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pour ainsi dire unique de tout ce qui vit. Partout, dès que la vie s’organise, la courbe apparaît, la courbe sinueuse et mobile qui semble devenir d’autant plus subtile que les êtres sont plus perfectionnés. Le corps humain, plus que celui de tous les autres êtres créés, les offre charmantes à nos yeux, et l’on comprend sans peine que les architectes aient voulu mettre dans leurs œuvres quelque chose de ces formes par lesquelles la nature nous enchante, et substituer la variété des courbes à la monotonie de la ligne droite qu’ils avaient adoptée par suite de nécessités constructives, mais qui est si différente de tout ce que la vie nous montre et nous fait aimer.

Il est vrai que l’abus peut toujours entacher les plus belles et les plus justes idées, et le XVIIIe siècle ne tarda pas à se laisser entraîner à bien des excès par sa folle passion pour les lignes courbes. Il vint un moment où, dans l’art, la ligne droite fut impitoyablement proscrite, où l’on ne sut plus faire une œuvre, pas même le plus petit objet usuel, sans avoir recours aux lignes courbes. Faisons la part de ces fautes, et ne condamnons pas pour cela les admirables artistes du XVIIe siècle ; laissons de côté les excès auxquels leur doctrine a pu aboutir, mais sachons comprendre qu’elle est légitime dans son principe et reconnaissons hautement la valeur et la beauté des œuvres qu’elle a créées.

Ces désirs d’une architecture plus belle et plus expressive, plus brillante et plus compliquée, qui conduisirent les architectes du XVIIe siècle à adopter les lignes courbes eurent une autre conséquence. Ces maîtres, suivant en cela les exemples que leur avaient donnés les architectes de la Contre-Réforme, employèrent les ordres en dehors de tout rôle constructif, ne craignant pas de les transformer et parfois de les altérer de façon à les rendre méconnaissables. Pour la première fois, ils ont une pleine conscience de la transformation profonde qui s’est accomplie au cours des âges. Ils comprennent clairement que depuis de longs siècles, et pour jamais peut-être, l’architecture grecque a disparu du monde, et que les ordres grecs désormais ne peuvent plus être qu’un décor ; dès lors, adoptant cette idée sans réticences, ils ne craignent pas de les traiter comme tels et de prendre avec eux des libertés qui seraient incompréhensibles et inexcusables, s’ils les considéraient comme des formes constructives. Ils sont en somme plus logiques, plus véritablement