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Borromini, mais pour trouver l’emplacement de ces tribunes qu’il faut réserver aux grandes familles princières, qui ne se contentent plus, comme leurs aïeux, de chapelles construites dans les bas côtés de l’église et faites surtout pour recevoir leurs tombeaux, mais qui veulent avoir des places spéciales, bien en vue, d’où ils pourront assister aux cérémonies sans se mêler au public. Et chose curieuse, toutes ces tribunes ne sont pas tournées vers l’autel, et de certaines d’entre elles on ne peut même l’apercevoir. Cela importe peu : les grandes dames qui les occupent sont là en représentation, parées de leurs plus riches atours, comme dans leur salon. Pour leur plaire il faut un cadre digne de leur luxe. Il faut de plus en plus des œuvres brillantes, des marbres précieux, des balcons, des courbes élégantes rappelant les formes de leur mobilier. L’église se transforme en une véritable salle de théâtre où l’on vient pour entendre de la musique et pour se faire voir.

Avec Guarini nous atteignons au maximum de la complication architecturale. Et si vraiment on tient que la simplicité est la pierre de touche de la beauté, on doit considérer cet art comme le dernier degré de la décadence, et l’on ne peut s’étonner d’entendre Milizia dire : « A qui plaît l’architecture du Père Guarini grand bien lui fasse, mais il est à enfermer avec les fous. » Mais pour ceux qui pensent que la simplicité est loin d’être la loi suprême de l’architecture, pour des artistes aux yeux raffinés, une œuvre telle que le S. Lorenzo de Turin est un des plus charmans bijoux de l’architecture.

Pour mener à bien la construction d’œuvres aussi complexes, pour calculer la poussée de toutes ces voûtes se chevauchant, la résistance de ces murs enchevêtrés, pour établir les épures de la coupe des pierres, il fallait que l’artiste qui concevait de telles constructions fût un véritable savant. Le Père Guarini, en effet, était un mathématicien, et si l’on compare son Traité d’architecture avec ceux de ses prédécesseurs, on sera frappé de voir que, pour la première fois, c’est un livre de géométrie. Et cela se comprend, car, si la construction d’une église à voûte et coupole était alors bien connue et ne demandait que peu de connaissances spéciales, dans une église du Père Guarini au contraire il se pose autant de problèmes que dans une cathédrale gothique. Ces miracles de construction que les gothiques n’ont obtenus qu’après de longs tâtonnemens et de dures expériences,