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lens cuisiniers, notamment de poissons. Les moindres repas duraient trois ou quatre heures avec six ou sept changemens de plats. Quand les arquebusiers et les arbalétriers de la milice se réunissaient pour l’exercice, ils le cessaient à cinq heures, pour manger un repas composé d’une soupe à l’orge, de bœuf bouilli, d’un rôti, d’un pâté, et boire sérieusement, chaque compagnie vidant à la fin encore, à la ronde et d’un trait, un gobelet d’étain fort d’une chopine de vin blanc. Quand en février, chaque année, les tribus procédaient à la reddition des comptes, il y avait trois jours de repas fraternel et, tout le temps des opérations, l’on envoyait des pâtisseries aux femmes des dignitaires, afin qu’elles prissent patience. La pâtisserie était d’ailleurs le triomphe de la cuisinière mulhousienne, dont l’imagination, en ce domaine, n’avait pas de limites. Ne croyez point que seuls les gens du peuple ou le commun des bourgeois aimassent s’attarder si longuement à table. Le menu du dîner qu’offrirent le 19 novembre 1705, à l’Hôtel de Ville, à l’élite de la cité trente bourgeois nouvellement admis, montre quel appétit possédaient les plus hauts personnages.

Premier service : soupe garnie d’une poule, bœuf bouilli, pâté de jeunes coqs, un dindon, un plat de légumes, un plat de choux-fleurs. Deuxième service : rôti de veau avec son rognon, rôti de lièvre, filet de chevreuil, chapons, pigeons, bécasses et alouettes, oies et canards, compotes de poires et de prunes. Troisième service : deux plats de beignets, tartes et gâteaux feuilletés, confitures, gaufres et oublies, pâtisseries.

On s’étonne cependant de n’y point trouver de ces cochons de lait, pour lesquels les Mulhousiens avaient un goût si vif et qui ornaient à l’ordinaire tous les repas officiels et privés, ni de ces fameuses écrevisses farcies de pâte d’écrevisses pilées et qui, mises au petit four, avaient mijoté dans une sauce épaisse où entraient du veau haché, des morilles, du bouillon, de la noix muscade, du jus de citron et des jaunes d’œufs. Et sans doute cela allait un peu loin, car en 1571 la municipalité limita à quatre-vingts convives le nombre des invités pour les noces les plus opulentes, et au XVIIIe siècle à soixante, en supprimant le festin traditionnel du lendemain. Des lois somptuaires ordonnèrent que les mets fussent apprêtés modestement, sans raffinement ni superfluité. Au XVIIIe siècle, quand l’industrie fut née, d’autres lois visèrent non seulement la table, mais encore