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MULHOUSE.

partie, la propriété de ménages ouvriers. Le principe de cette fondation était de fournir à l’ouvrier une habitation salubre lui permettant, moyennant un loyer de 25, 30 ou 35 francs par mois, payé pendant vingt ans, de posséder en toute propriété son logement au bout de ces vingt ans. Les ventes, exécutées approximativement au prix de revient, seulement majoré des contributions et des frais d’actes notariés, ont toujours suivi d’assez près la construction des maisons, et ce qui montre l’attrait puissant et légitime de la propriété pour provoquer l’épargne, le payement des loyers s’est accompli si régulièrement que la Société a pu rentrer très promptement dans son capital[1]. Pour compléter son œuvre, Jean Dollfus y ajouta successivement une bibliothèque, des bains, un lavoir, une boulangerie, un restaurant économique, des magasins d’épicerie et de confection, des fourneaux économiques. Il ne s’en tint pas là. Songeant aux ouvriers sans travail et sans refuge, il fonda en 1859 l’asile de voyageurs indigens, dans lequel quarante hommes trouvaient un asile de nuit, avec la soupe et le pain, une caisse de secours en 1864 pour les ouvrières dans les premières semaines qui suivent l’accouchement, réduisit spontanément en 1867 la durée du travail de douze à onze heures, installa à Cannes, en 1881, un hospice pour les enfans scrofuleux, et, en 1882, à l’occasion de ses noces de diamant, un asile pour vieillards dans sa propriété de Gaïsbühl ; grand industriel, grand philanthrope, grand patriote enfin, qui en 1870 avait jeté, par un mouvement indigné, sa décoration de l’Aigle Noir au visage du général badois décidé à bombarder les quartiers ouvriers, et qui jusqu’à sa mort garda au-dessus de son lit, pour abriter son sommeil, un drapeau français.

En perdant Mulhouse, la France n’a pas seulement perdu une cité industrielle de premier ordre, elle a perdu encore, — ce qui est plus grave, — des hommes véritablement dignes de ce nom, car on n’en voit guère qui aient porté à un si haut degré ces rares qualités de labeur opiniâtre, d’intelligence entreprenante, d’initiative originale. Je crois bien qu’en eux se rassemblaient, par la position même de leur ville, toutes les vertus des trois races, l’allemande, la suisse et la française, qui constituaient ainsi ce caractère si spécial, le caractère mul-

  1. Société industrielle de Mulhouse ; aperçu historique. Mulhouse, 1911.