Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Plaisirs de l’Ile enchantée. On s’y costuma, on y joua la comédie, on y dansa des ballets, on y fit l’amour : toute cette Cour magnifique et galante voguait avec son jeune Roi vers Cythère. Nous voyons de brillans gentilshommes fleureter avec de belles comédiennes ; nous entendons un caquetage empressé et vain, où les propos d’amour se croisent avec les nouvelles mondaines et les médisances fraient la voie aux déclarations. Il y a des plumes aux chapeaux et des dentelles aux phrases. Tout cela nous suggère à merveille l’idée de l’atmosphère troublante et voluptueuse qu’on dut respirer alors à Versailles. Il paraît que ces fêtes furent funestes au ménage de Molière. Armande écoute avec un contentement qui n’est pas joué les louanges pressantes et les complimens intéressés du marquis. On comprend que c’est sa première aventure et qu’elle y trouve un plaisir d’inconnu. Elle est, si l’on peut dire, dans la fraîcheur d’un libertinage à ses débuts. Il y a dans tout cela bien de la légèreté et de la grâce. Mais Molière survient à cet instant. Le marquis ne s’est pas si vite esquivé que le mari n’ait eu tout loisir de l’apercevoir. Il l’a vu, de ses yeux vu, ce qui n’empêche pas Armande de nier et de se récrier contre le visionnaire. Elle niera l’évidence, comme Célimène. La voilà en plein dans son métier de coquette, et Molière dans son métier de jaloux.

La « scène, » qui a commencé de gronder dans les allées du parc, éclate sous les combles de Versailles où la troupe est logée. L’étourderie du chevalier, parlant dans l’ombre à Armande, a renseigné Molière qui n’avait pas besoin de cette déposition de témoin. Il s’emporte ; il menace ; c’est cette atmosphère du théâtre qui est mauvaise pour la jeune femme : il ne lui donnera plus de rôles. Armande était, comme on sait, une petite personne sèche et sans cœur ; elle ne songe guère à apaiser cette douleur qui saigne devant elle ; elle ne s’excuse pas et ne fait pas de promesses : les câlineries ne sont pas de son répertoire. C’est au contraire toute l’aigreur de sa vilaine petite âme qu’elle met dans sa riposte ; elle cherche ce qu’elle peut trouver de plus pénible à jeter à la tête de ce mari assez fou pour la vouloir fidèle ; et elle le trouve d’instinct : c’est de se faire l’écho de l’atroce calomnie qui lui donne pour père Molière lui-même ! Les caractères des époux se dessinent et s’accusent, et aussi celui de Madeleine qui s’est tout de suite installée dans son rôle de belle-mère, non pas acariâtre, mais au contraire accommodante. Elle dit le mot de la situation : Armande a tous les torts, n’est-ce pas à Molière de lui demander pardon ?