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l’impression que M. Donnay a voulu et su rendre. A la vieillesse glorieuse de son génial adorateur, Armande, comme on pense, préfère les vingt ans de Baron. Elle a pris pour nouvel amant ce gamin élevé chez Molière, comme l’enfant de la maison. Et elle est jalouse du garnement, un Chérubin avant la lettre, qui sera le type de l’homme à bonnes fortunes. Une querelle. Un soufflet. Molière arrive à point pour n’avoir sur cette aggravation de son déshonneur aucun doute. Quoi, Baron ! C’est le dernier coup. Mais la représentation des Fourberies de Scapin se continue. Armande et Baron y ont un rôle. Il s’agit qu’ils ne manquent pas leur entrée. En scène !

J’avoue que le dernier acte m’a déconcerté. J’étais bien sûr que M. Donnay ne nous ferait pas assister à la mort de Molière, ce qui eût été d’un effet trop facile. Pourtant il fallait mettre une agonie à la scène : ce sera celle de Madeleine. L’aînée des Béjart n’a plus que quelques jours à vivre. Éclairée en quelque sorte par l’approche de la mort, elle a comme la révélation du génie de Molière et aussi de sa bonté. Elle se fait apporter les costumes qu’elle a portés dans les diverses pièces de son auteur ; chacun lui rappelle un rôle, un succès, une création qui lui survivra. Elle voudrait réconcilier Armande avec son mari, faire naître dans cette âme frivole le sentiment de son devoir. Elle lui donne les meilleurs conseils. Elle lui tient un langage d’une morale irréprochable, mais qui surprend un peu dans sa bouche, et à l’effet duquel nous sommes tentés de ne pas ajouter beaucoup de foi. Nous nous trompons. Armande est touchée. Elle se convertit. Le ménage de Molière, qui avait été un si mauvais ménage, va devenir un ménage excellent... Pourvu que cela dure !

J’ai indiqué, au cours de cette analyse, mes réserves. Ce qu’on pourrait surtout reprocher à M. Donnay, c’est de n’avoir pas suffisamment égayé son sujet. Quelques épisodes, la discussion à propos du Misanthrope, l’arrivée de Corneille à l’avant-dernier tableau, ont fait de très heureuses diversions. Pourquoi M. Donnay ne nous en a-t-il pas offert davantage ? Pourquoi n’a-t-il pas donné plus librement carrière à cette fantaisie qui est une des marques les plus originales de son talent ? Molière fut un grand railleur des travers et des vices de son temps. Vices et travers n’ont pas disparu de l’humanité, et on les retrousserait, sans nul doute, autour de nous, à peine modifiés. Pourquoi ne pas nous avoir montré, en habits de comtesses ou sous la perruque des marquis, des originaux d’aujourd’hui ? C’eût été un anachronisme très permis et dont nous eussions aimé la saveur. M. Donnay l’a volontairement écarté. Il s’est tenu avec une sorte de