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rigueur dans les limites exactes de son sujet. Il s’est cantonné dans le « domestique » de Molière. Sa pièce y a gagné an unité, mais perdu en diversité. Telle qu’elle est, elle est charmante. Elle fait honneur à son auteur et à la Comédie. Ce sera un régal pour les délicats.

Le Ménage de Molière a été monté avec le goût et même la somptuosité qu’on devait y mettre dans la propre maison de Molière. Les décors sont très soignés : celui du second tableau est un enchantement. Les costumes sont fort propres, comme on aurait dit au XVIIe siècle. La mise en scène est très bien réglée avec danse et musique. L’interprétation est satisfaisante, sans toutefois dépasser un niveau très honorable. On ne peut s’empêcher de regretter que le rôle de Molière n’ait pas trouvé un interprète qui l’eût mis en plein relief et en eût développé la puissance d’émotion. M. Grand fait de très louables efforts et dit les vers avec soin. Mais il manque d’ampleur et de variété. Il n’émeut pas. On songe à ce qu’un Coquelin aurait fait d’un pareil rôle. Mlle Leconte est très gracieuse sous les traits d’Armande Béjart. Mlle Cerny s’est tirée tout à fait à son honneur du rôle difficile de Madeleine. M. Paul Mounet est un Corneille grandiloquent et empêtré dans sa gloire, comme il convient. Les autres rôles sont très bien tenus. C’est un de ces remarquables ensembles où excelle la Comédie.


Octave Feuillet nous a dit naguère ce que c’était qu’un jeune homme romanesque à la manière de son temps. Maxime Odiot dompte les chevaux fougueux, sauve les terre-neuve qui se noient dans les étangs, ou se précipite du haut des tours à travers les espaces, afin de plaire à la jeune fille qu’il aime et de paraître avantageusement à ses yeux, à ses beaux yeux. Le grand succès qui accueillit le Roman d’un jeune homme pauvre attesta que cet idéal était assez bien celui d’une partie de la société d’alors. Encore aujourd’hui, je pense qu’on n’a pas cessé de montrer aux touristes la légère dégradation faite à l’une des fenêtres de la tour d’Elven par le talon de ce jeune homme qui n’a jamais existé ; mais on ne joue plus guère la pièce de Feuillet, et le roman lui-même semble bien démodé. C’est, disent les esprits chagrins, que la jeunesse d’aujourd’hui a cessé d’être romanesque : les vingt ans ne se portent plus. Je n’en crois rien. La tendance au romanesque est une de ces dispositions de l’esprit qui font partie de notre nature. Elle ne meurt pas, elle se transforme. On peut sans cesse en refaire l’étude et la remettre au courant. C’est le sujet même de la pièce que M. Francis de Croisset vient de faire représenter, avec succès : Le Cœur dispose.