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trop certain ; mais qu’un prêtre exclue ces vertus du domaine de la vie morale de tout chrétien pour les rejeter dans celui de « l’ascétique, » c’est à quoi je comprends que Pascal n’ait jamais voulu consentir. Pourquoi ne pas reconnaître plutôt que, dans leur désir très légitime de ne pas fermer irréparablement les portes du salut à une humanité aveugle et imprégnée d’habitudes vicieuses, les casuistes de la première moitié du XVIIe siècle ont parfois poussé l’indulgence au delà des bornes permises ; et que le pieux et naïf P. Escobar, en particulier, a été parfois conduit par sa respectueuse déférence envers les glorieux représentans de son ordre à approuver chez ceux-ci des opinions que, sûrement, son honnête cœur d’enfant aurait repoussées avec indignation s’il s’était permis un seul instant de s’arrêter à en peser la véritable teneur ? J’irai plus loin : pourquoi ne pas reconnaître que Pascal, avec toute sa partialité et toutes ses erreurs, a rendu service à la casuistique elle-même, — sinon certes aux casuistes, et notamment au P. Escobar, sa grande victime, — en s’élevant contre des opinions qu’une sentence infaillible du Saint-Siège allait bientôt chasser à jamais de la théologie ?


En vérité, je ne vois pas ce qu’un tel aveu pourrait avoir d’embarrassant, même pour les admirateurs les plus fervens d’Escobar ; sans compter qu’il leur serait rendu plus facile par la possibilité où ils seraient toujours d’ajouter que, par-dessus toutes ces petites questions de détail, c’est incontestablement Escobar qui avait raison contre Pascal sur la question essentielle de la nature du péché. Car tout de même que nous éprouvons une impression de gêne en lisant tel ou tel des « cas » imaginés et discutés gravement par les moralistes espagnols, de même nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir mal à l’aise devant l’indignation que provoque, chez Pascal, l’opinion « jésuitique » qui n’admet point de péché sans une connaissance préalable du bien et du mal. C’était, en effet, l’opinion de ceux que les jansénistes se plaisaient à traiter de « semi-pélagiens ; » et le P. Escobar l’a exposée et défendue de la façon la plus catégorique. « Que si jamais l’homme, disait-il, n’a eu l’occasion d’apprendre ou de soupçonner la malice d’un acte, cet homme-là, en accomplissant l’acte, ne commet point de péché, car il est impossible que la volonté consente au mal du péché si l’intelligence ne le connaît point. » Escobar nous l’affirme, et par là il surprend et indigne Pascal, qui voit dans tous ces péchés « d’ignorance » une suite fatale de la faute de nos premiers parens. Mais sans aucun doute possible,