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tout de même que le Saint-Siège lui a donné raison, quelques années après les Provinciales, en condamnant expressément des opinions que le jésuite espagnol avait soutenues, cette fois encore, par respect pour ses illustres devanciers, et par crainte de se mettre en désaccord avec eux. Voici, tout d’abord, la question des domestiques ! Écoutons de quelle façon l’excellent P. Escobar leur marque la limite des services qu’ils peuvent rendre sans scrupule à des maîtres débauchés :


Je vais indiquer brièvement les actions que peuvent se permettre les domestiques sans péché pour eux, dans les cas où ils risqueraient un dommage très grave à perdre leur place, et où le caractère habituel de leurs maîtres leur ferait craindre également un grave dommage s’ils se refusaient à leur obéir. Ces actions sont : de seller le cheval qui va conduire leur maître chez la maîtresse de celui-ci ; de garder les abords de la maison de cette maîtresse, pendant que leur maître y est avec elle ; de servir la maîtresse à table, de la ramener chez soi ; de lui porter des lettres dont la turpitude grave ne leur est pas absolument prouvée ; de porter ou de rapporter des cadeaux ; de désigner la maison de la maîtresse ; d’aider leur maître à monter chez sa maîtresse ; de lui tenir l’échelle. — Mais ici, en vérité, pour que le serviteur puisse sans péché tenir l’échelle, il faut qu’il ait conscience d’éviter par là, pour soi-même, un dommage exceptionnellement grave : car le fait d’entrer dans une maison par une échelle constitue un tort à l’endroit du maître de la maison.


Nous retrouvons dans ce passage l’ingénuité, — je dirais presque : l’innocence, — accoutumée du religieux espagnol. Mais qui donc, en lisant ces lignes, ne partagerait pas plus ou moins le malaise que leur lecture a causé à Pascal ? Est-ce à un prêtre qu’il convient d’arrêter sa pensée sur de telles images ? Et c’est chose trop certaine, également, qu’Escobar considère comme excusable le meurtre d’un voleur, lorsque la somme qu’il s’agit de défendre dépasse la valeur d’un aureus. De même encore Escobar justifie le duel, et tout ce que nous dit Pascal à ce sujet correspond pleinement à la vérité historique. Sur quoi le P. Weiss de nous dire : « Avec une méconnaissance complète de la nature et de l’objet de la théologie morale, Pascal ne se lasse point de nous rappeler les passages de l’Évangile et des Pères qui prescrivent la patience, le renoncement, la soumission résignée à toute injustice. Mais il oublie que cette manière d’envisager la vie morale appartient exclusivement au domaine de l’ascétique ! » Eh bien ! non, c’est ce que, pour ma part, je ne saurais admettre. Que ces vertus évangéliques soient un idéal, une « limite » dont il faut que nous tâchions à nous approcher, cela est malheureusement