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comme un modèle, presque au même titre que l’organisation politique. Ce langage sonne maintenant aux oreilles comme un anachronisme. L’Angleterre est bien changée et de celle d’hier il ne restera peut-être bientôt qu’un souvenir.

Quelle est la cause d’une transformation si rapide et si profonde ? Quelques années de gouvernement radical ont suffi pour la produire. Nous en parlons avec d’autant plus d’impartialité que nous n’avons qu’à nous louer de ce gouvernement qui, dans sa politique étrangère, a suivi la même voie que ses prédécesseurs et a maintenu intacte l’entente cordiale qu’ils avaient inaugurée. Nous avons les meilleurs motifs d’aimer l’Angleterre d’aujourd’hui et nous voudrions continuer de l’admirer, mais comment le faire sans réserves ? Le parti au pouvoir a fait entendre des paroles et adopté des méthodes qui devaient fatalement jeter dans l’imagination des masses ouvrières les élémens de fermentation dont on voit aujourd’hui les effets. Le milieu nouveau qui les entoure a agi sur elles, les imprégnant peu à peu de son influence dissolvante, éveillant chez elles des appétits de plus en plus exigeans. En même temps, la vie est devenue plus difficile et plus chère : le prix des objets de première nécessité s’est élevé toujours davantage ; les besoins ont augmenté sans que les moyens de les satisfaire aient suivi la même proportion. De ces causes réunies est sortie la crise actuelle.

Ce qui la rend particulièrement redoutable est le nombre énorme des grévistes : il y a en Angleterre plus d’un million de mineurs S’il s’arrêtait là, le mal serait déjà très grand, mais ses contre-coups vont plus loin. La plupart des industries anglaises vivent de charbon et leur fonctionnement est suspendu lorsqu’il manque. C’est le chômage imposé à un nouveau nombre d’ouvriers qui atteindra bientôt celui des mineurs. Chaque jour on annonce que de nouvelles usines se ferment et que, par conséquent, des centaines et des milliers de travailleurs sont sans travail. Aussi l’opinion publique commence-t-elle à se prononcer contre la grève. Elle ne l’avait pas fait au premier moment, elle était plutôt favorable aux revendications des ouvriers avec cette imprévoyance assez naturelle aux Anglais qui ne se rendent compte des choses que lorsqu’ils les voient réalisées et qu’en quelque sorte ils les touchent. C’est d’ailleurs sur l’opinion, et probablement sur elle seule qu’il faut compter, pour mettre fin à la crise. Elle est la reine de l’Angleterre ; personne n’échappe à ses prises, pas même les ouvriers. Quand elle se prononce avec une certaine force, elle est obéie. Le gouvernement peut être son organe,