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disait-il, mais qui nous garantit que le successeur pensera de même ? Cette idée s’étalait dans un article des Grenzhoten, dans une correspondance du Daily Telegraph : le prochain Pape pouvait être intransigeant ; et l’on serait bien aise, en face de lui, d’avoir conservé, bien intact, l’appareil des lois.

Jacobini, dans la seconde semaine d’avril, ne cacha pas à Reuss que Rome était très désappointée. Reuss s’efforça de mettre les choses au point : une modification des lois, expliquait-il, ne pourrait jamais être assez complète pour satisfaire le Pape ; au contraire, si le ministère obtient la faculté de ne les pas appliquer, et s’il en use très largement, le Pape sera content. Mais Jacobini constatait qu’avec un tel système le clergé prussien demeurerait à la merci de l’arbitraire prussien, et Reuss n’avait rien à riposter. Le cardinal, pressant l’ambassadeur, voulait savoir si les évêques seraient réintégrés : « On ne peut traiter de ce point, répliquait Reuss, que lorsque le Pape aura expédié aux évêques les instructions annoncées : sans cette entrée pratique dans le champ des concessions, il n’y aura pas de contre-concession de la part de la Prusse. » Jacobini poursuivait son interrogatoire : « Rétablira-t-on, demandait-il, les rapports diplomatiques ? » et Reuss s’évadait par une boutade.

Le 16 avril, le cardinal revoyait Reuss : il apportait une lettre de Nina, parlant de l’impression très pénible que ressentait le Pape, et faisant augurer, de la part de Rome, certaines décisions graves, si les négociations avec Reuss échouaient. Cette lettre inquiétait Jacobini, elle le peinait ; elle semblait annoncer une nouvelle rupture. « Le moment est très critique, disait-il à Reuss. Je cherche vainement des moyens de détourner le Saint-Siège d’une décision qui serait néfaste au rétablissement de la paix. J’accorde que Puttkamer apporterait un désir de paix dans l’usage des pouvoirs discrétionnaires. Mais après lui, un autre ministre pourrait venir. » Jacobini se défiait du successeur de Puttkamer, comme Bismarck se défiait du successeur de Léon XIII ; et le premier voulait, par précaution, faire tomber du bras de la Prusse cette arme qui s’appelait les lois de Mai, comme le second voulait, par précaution, garder cette arme au fourreau, tout en cessant de la brandir.

Et Jacobini continuait : « Il faut que le Pape fasse espérer aux fidèles qu’on marchera vers un modus vivendi légal, vers une révision. Si je pouvais lui dire que la création d’une légation