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Porter ainsi la main, si légère, si prudente fût-elle, sur des institutions consacrées par un long usage, c’était déjà, sans doute, faire preuve de fermeté. Combien plus hasardeux, toutefois, serait tout essai de réforme portant sur l’administration du fisc et sur le personnel préposé à la perception ! Car, ici, détruire un abus, changer ou supprimer un rouage, remanier un service, serait toujours, en fin de compte, léser un intérêt privé, tarir une source de profits pour certains fonctionnaires. Tout s’arrangeait, tant bien que mal, lorsqu’on lie touchait qu’aux principes ; dès qu’on s’attaquait aux personnes, là commençaient vraiment les risques périlleux. Necker, rendons-lui cette justice, ne redouta pas d’aborder cette seconde partie de sa tâche et de s’aventurer sur ce terrain brûlant.

La machine financière, en France, était alors d’une complication prodigieuse, dont on pouvait, pour une bonne part, accuser le système de la vénalité des charges, issu lui-même des besoins du Trésor. « Sire, disait à Louis XIV M. de Pontchartrain, contrôleur général, toutes les fois que Votre Majesté crée une charge. Dieu crée un sot pour l’acheter. » De là, l’institution d’un nombre inouï d’emplois, d’offices et de judicatures, ressource toute trouvée aux heures où l’argent était rare, mais ressource dangereuse, commode dans le présent, onéreuse pour l’avenir. La pensée constante de Necker, qu’il maintint sans faillir d’un bout à l’autre de son ministère, fut de réduire au minimum, dans la mesure possible, l’innombrable cohorte des fonctionnaires et des intermédiaires, d’élaguer les branches superflues, de faire régner ainsi dans l’administration de son département plus d’ordre, d’unité, plus de simplicité surtout. Entreprise étrangement ardue, dont les contemporains reconnaissent la difficulté. « Si M. Necker n’en voulait qu’au pauvre peuple, lit-on dans une correspondance du temps[1], tout irait à sa volonté. Mais, dans notre gouvernement, tout monarchique qu’il soit, l’intention du monarque lui-même est souvent combattue et assez de fois vaincue. Il faut donc chez nous à un ministre novateur une souplesse de caractère, une adresse d’esprit incroyables, pour apaiser les uns, gagner les autres, désintéresser enfin ceux qui prennent parti sans avoir de motif réel, mais pour se rendre importans. » La marquise du Deffand

  1. Correspondance publiée par Lescure, 18 juillet 1777.