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de la noblesse, les titulaires de certaines charges accessibles à la roture en y mettant le prix. Ces dernières charges, au nombre de quatre mille environ, étaient souvent acquises dans le seul dessein de se soustraire ainsi à la perception de la taille, de sorte que, selon l’observation de Dupont de Nemours, « le plus sûr moyen d’échapper à l’impôt était de faire fortune. » Une autre anomalie, non moins fâcheuse, non moins injustifiée, distinguait cette contribution de la plupart des autres : par une dérogation étrange à la règle commune, la taille pouvait être augmentée sans le contrôle du parlement et sans le consentement des Etats-Généraux. Une simple décision du Roi, publiée par décret, sans aucun examen public, sans même qu’il fût besoin d’alléguer un motif, en fixait le montant d’une manière arbitraire, d’où l’expression de « taillable à merci. » Aussi, par suite de cette facilité, la taxe avait progressivement monté, s’était aggravée à chaque règne. Gréée par Charles III pour produire 2 millions par an, sous Louis XVI elle s’élevait à plus de 90 millions[1].

Necker agit à l’égard de la taille comme il avait agi à l’égard du vingtième. Il en respecta le principe, pour ne s’en prendre qu’à l’abus. Abolir le scandale des exemptions privilégiées, organiser parmi tous les sujets du Roi l’égale répartition des charges, c’était son rêve secret, qu’il ne crut pas pouvoir réaliser d’un trait de plume. Il se contenta pour l’instant de mettre un frein légal au bon plaisir du prince et au caprice du fisc. Louis XVI, sur son avis, déclara qu’à l’avenir la taille serait soumise à la règle ordinaire en matière de contributions, qu’elle ne pourrait être augmentée sans l’accord préalable du Roi avec les parlemens. C’était parer du moins aux aggravations imprévues, dictées par un besoin pressant, décrétées brusquement par quelque ministre aux abois. Tout incomplète qu’elle fût, cette réforme fut accueillie avec une joie sincère. On y voyait un acheminement vers un régime plus libéral, une limite apportée au pouvoir absolu, un coup porté à l’arbitraire. On y voyait aussi, de la part de Necker, l’indice de son respect pour la magistrature, la volonté de rendre hommage aux lumières, à l’autorité de la suprême Cour de justice. Le parlement fut seul à considérer cette avance comme un témoignage de faiblesse[2],

  1. Les Finances sous l’ancien régime, par Stourm, passim.
  2. Journal de Véri.