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qui rase, sur sa lèvre supérieure, une ombre de moustache, discutait chevaux avec le marquis, convaincu de jouter à compétence égale. Et je l’entendis qui lui disait : « Old Nick, meilleur que Bouffonnerie sur le plat ? Vous en avez de bonnes, vous !… » Madeleine Demonville (treize ans) envoya lestement promener sa mère qui la priait de jouer une étude de Chopin devant le célèbre pianiste : et elle appuya son refus de cet apophtegme :

— Quand j’ai dit non, maman, vous savez bien que c’est non !…

Sa sœur Blanche avait entraîné dans un coin du salon Georges de Lespinat et ne s’occupait pas plus des autres invités que s’ils n’eussent point existé : cette désinvolture fut remarquée par la charmante Sylvie. Nous avons depuis longtemps deviné, n’est-il pas vrai, Françoise ? le penchant de Sylvie pour le jeune châtelain d’Ambleuse. Gentiment, tristement, Sylvie se réfugia de mon côté, et se mêla à un entretien où Sam Footner essayait de me démontrer, — impatient de mes répliques, — que les journaux français ne contenaient que de petites histoires, point d’informations, et que, par conséquent, un Anglais, en France, pouvait se dispenser de lire les journaux. Bientôt Mlle Cécile Bernier, quinze ans tout juste, l’amie des petits Demonville, très férue d’intellectualité, celle-ci (elle prépare baccalauréat et licence), m’honora d’une conversation où elle me déclara poliment que jamais elle n’ouvrait un livre contemporain, que les romans l’assommaient : ce fut le drawback des admirations formulées par la marquise et Mme Demonville. May Footner (quatorze ans et demi) me demanda quels étaient mes sports favoris : et quand j’eus confessé que c’étaient la marche, l’escrime et la bicyclette, elle me rit au nez et me déclara que ce n’étaient pas des sports. Somme toute, hors Sylvie toujours modeste (comme il arrive souvent aux filles de qui le père s’est remarié), et, ce jour-là, mélancolique pour des raisons que je démêlais, la nouvelle couvée m’apparut remarquable, surtout, par un infernal toupet et une absence radicale d’esprit respectueux…

Vous savez qu’en Berry les réceptions d’après-midi sont interminables. Je profitai de l’arrivée de plusieurs autos successifs, pleins de voisins avides de bridge, pour m’esquiver discrètement et regagner Ambleuse à travers les deux parcs