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De ces soixante cadres séculaires dont ils venaient de comprendre la signification, par lequel commencer ? Au hasard, dans le tas, suivant la méthode courante ? Par Clovis ? Par Romulus ? Nulle raison de choisir… Mais quand on raconte à un enfant l’histoire de sa famille, c’est en lui parlant de son père que l’on commence, après quoi, on lui parle de son aïeul, puis de son bisaïeul, etc., en sorte que tout ce qui lui est enseigné a pour point de départ l’enfant lui-même. Ainsi avons-nous procédé pour Pierre et Simone. Nous leur avons parlé d’abord de la France d’aujourd’hui, sous la troisième république : et quand cette France a été pour eux une personne familière, une de leurs contemporaines, eux-mêmes nous ont demandé de leur raconter son histoire, ce que nous avons fait en termes brefs, d’abord en remontant jusqu’à la naissance du père Thivrier, puis de plus en plus haut, jusqu’à la naissance même de la France : toutes ces étapes bien repérées sur notre cadre séculaire, comme nos voyages fictifs sont repérés sur la carte.

Cet enseignement élémentaire leur fut donné oralement, avant qu’ils n’eussent ouvert un livre. Admis aujourd’hui à se servir de livres, le livre que j’ai vu ce matin entre leurs mains est un précis de trente pages, comprenant toute l’histoire du monde : c’est une sorte de mappemonde historique. N’ayant trouvé nulle part ce précis, je l’ai fait moi-même… L’histoire y est résumée par larges masses, une phrase ou deux par masse, pas plus. Aucune date ; les événemens sont indiqués comme s’étant passés au commencement, au milieu, vers la fin de tel siècle : nous les inscrivons à mesure sur nos tableaux séculaires. Et il va sans dire que, surtout pour les commencemens de l’histoire, les « masses » comprennent souvent plusieurs siècles.

Quand nos élèves auront fini leur petit livre, et le posséderont (seule vraie façon de savoir), que sauront-ils en histoire ? Ils sauront quelle « personne » est la France, quand elle naquit, ce qui l’engendra, quelles furent les grandes époques de sa vie. Ils sauront aussi qu’avant la France, en des reculs qui représenteront pour leur esprit quelque chose de précis et de concret, il y avait d’autres peuples, une humanité mouvante et combattante ; ils situeront les principaux de ces peuples dans l’espace et dans le temps. On ne leur aura certes pas nommé Chilpéric ; mais Clovis, Charlemagne, Charles Martel, Jeanne d’Arc, Louis XIV et Napoléon seront pour eux des êtres réels.