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expressions françaises, j’affirme aux incrédules que Pierre et Simone, à huit ans, comprennent fort bien la phrase de Pascal et la stance de Rousseau. On les leur a patiemment expliquées ! ils sont en état de les expliquer eux-mêmes.

Toutefois, ils ignorent les mots Flasche et bottle. Quand ils voient une bouteille, ils l’appellent bouteille, tout simplement.

La matinée de mes élèves, à Paris, est entièrement consacrée à se cultiver l’esprit, mais en cette saison de vacances où ils voient tout le monde organiser des plaisirs, j’exige seulement que la matinée reste disciplinée : c’est-à-dire que l’étude, raccourcie, cède un peu de place à des distractions surveillées. Une petite main remuante en chacune de mes mains, je m’en suis allé, quand la leçon d’histoire a été terminée, assister avec Pierre et Simone aux labeurs de la ferme voisine.

Mes élèves adorent ces promenades qui furent un de nos grands moyens d’enseignement, avant que le livre n’intervînt dans nos études. Nous appelons cela : des leçons de vie. Ma présence aiguillonne leur attention ; si cette attention fléchit ou s’égare, je la réveille, je la corrige, je la gouverne. Aux questions qu’ils me posent, je réponds de mon mieux, à condition toutefois qu’elles ne contiennent ni bêtifiage, ni taquinerie : j’entends qu’on souhaite réellement s’instruire, qu’on réfléchisse avant de questionner, qu’on s’exprime en bon langage. Si la question excède mon savoir, je réponds franchement : « Je ne sais pas, » et je vais avec mes élèves questionner à mon tour. Précieux exemple à donner ; car le premier signe d’intelligence d’un élève, le plus nécessaire, c’est de répondre sincèrement : « Je ne sais pas, » ou « je ne comprends pas, » quand effectivemenl il ne sait pas et il ne comprend pas. Foin de l’élève qui comprend toujours : cinq fois sur dix, il croit comprendre et n’a rien compris !… Enfin, dans certains cas où la question n’excède pas mes humbles connaissances, mais où la réponse, pour être entendue, requiert une formation d’esprit qui n’est pas encore celle de mes pupilles, je réponds : « Je vous expliquerai cela plus tard ; en ce moment, il ne vous serait pas possible de comprendre l’explication. » Et je n’admets aucune insistance. Pierre et Simone, là-dessus, sont parfaitement