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française à l’Ecole supérieure des Lettres d’Alger, à la Faculté de Besançon, puis à celle de Grenoble, un beau jour de l’un de grâce 1884, M. Lemaître dénouait doucement au bord d’un fossé la longue toge universitaire. Quelques mois après, on apprenait par l’article sur Renan qu’il était venu à Paris. Et l’année ne s’était point écoulée qu’il succédait à J.-J. Weiss comme chroniqueur dramatique au Journal des Débats.


III

Après huit jours de soleil, voilà le froid revenu, un froid dur, brutal, noir. Nos raisins ne mûriront pas. Je n’ai rencontré ce matin, dans la campagne, que des figures tristes. Brr... je vais me chauffer à la cuisine, — aujourd’hui, 17 août.


Nous lisons ces paroles à la fin d’un article fort sérieux des Contemporains sur l’Immortel de Daudet. Et voyez-vous Brunetière, Montégut ou Sainte-Beuve lui-même terminant un article de critique par une confidence de cette nature ! C’est que M. Jules Lemaître n’est pas un critique comme les autres. Même, à l’entendre, — quelquefois, — il ne serait pas un critique du tout. « Hélas ! nous dira-t-il quelque part, dans une page souvent citée, je suis si peu un critique que lorsqu’un écrivain me prend, je suis vraiment à lui tout entier ; et, comme un autre me prendra peut-être tout autant, et au point d’effacer presque en moi les impressions antérieures, comme d’ailleurs ces diverses impressions ne sont jamais de même sorte, je ne saurais les comparer ni assurer que celle-ci est supérieure à celle-là » — « La critique, ah ! Dieu, que j’en suis las ! » s’écriera-t-il ailleurs. — Et ailleurs enfin :


Oh ! ne plus jamais, jamais ouvrir un livre pour son plaisir ! Et, quand on l’a fermé, ne pas avoir le droit de n’en rien penser du tout ! Ne plus lire une ligne sans être condamné à l’apprécier ! Juger, toujours juger, quelle horreur ! Si encore cette préoccupation n’était que douloureuse ! Mais je crains qu’elle ne soit aussi funeste à l’esprit. Tandis qu’on parcourt un livre nouveau avec le souci de le définir et de le classer, on n’en reçoit plus l’impression directe et toute naïve, on ne le voit plus tel qu’il est, et le devoir de juger fausse le jugement. — Alors, pourquoi faites-vous de la critique ? — Eh ! on ne veut pas, on n’admet pas que je fasse autre chose au monde. Il faut bien que je me résigne. (Revue Bleue, 18 août 1888.)


Il est vrai qu’à côté de ces déclarations, on en trouve d’autres fort différentes :