Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus diverses, il a voulu « faire comme Paul Bourget qui se croirait perdu d’honneur si une seule manifestation d’art lui était restée incomprise, » et il s’est efforcé de tout comprendre, afin de fournir à son impressionnisme une base d’opération plus large et, peut-être, de jouir plus voluptueusement de sa propre pensée. De là aussi son goût passionné de la modernité : car les anciens ne se prêtent pas aussi aisément que les auteurs d’aujourd’hui aux intuitions, parfois aventureuses, de l’impressionnisme ; on ne les comprend pas de prime-saut, en quelque sorte, comme nos contemporains ; pour entrer complètement en eux, il faut un désintéressement de soi souvent assez méritoire ; il y faut un effort de sympathie critique et d’information historique peu compatible avec la libre spontanéité dont l’écrivain se fait une vertu et une loi : « tandis que souvent, ouvrant au hasard un livre d’aujourd’hui ou d’hier, il m’arrive, — nous confiera M. Jules Le maître, — de frémir d’aise, d’être pénétré de plaisir jusqu’aux moelles, — tant j’aime cette littérature de la seconde moitié du XIXe siècle, si intelligente, si inquiète, si folle, si morose, si détraquée, si subtile, — tant je l’aime jusque dans ses affectations, ses outrances, dont je sens le germe en moi, et que je fais miennes tour à tour. » C’est bien cela. Et pour tout dire d’un mot, la critique ainsi comprise a peut-être bien, nous le verrons, gardé quelques-unes des habitudes de l’ancienne critique ; mais elle est surtout, à sa manière, une sorte de création artistique.

Et c’est pourquoi sans doute elle a fait merveille dans la chronique théâtrale. Car, je vous prie, que demandons-nous surtout au feuilletoniste dramatique ? Qu’il nous renseigne assurément sur la pièce qu’on vient de jouer, qu’il nous en signale rapidement les mérites ou les défauts ; mais, et surtout si l’œuvre, — ce qui arrive trop souvent pour ces productions éphémères, — relève bien plutôt de ce que M. Faguet appelait un jour de la « littérature digestive » que de la littérature pure et simple, nous ne lui défendons pas de rêver en marge ou même en dehors de la pièce, et même nous l’en prions, et s’il réussit à nous intéresser, à nous instruire, à nous charmer, à nous faire rêver ou penser à notre tour, nous lui savons un gré infini de nous donner la fête de son esprit. On sait de reste si M. Jules Lemaître a su remplir ce programme. Les dix volumes d’impressions de théâtre, où il a recueilli quelques-unes