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des étincelantes chroniques dramatiques qu’il a données de 1885 à 1898 aux Débats et à la Revue, sont une des œuvres les plus originales, les plus vivantes, les plus suggestives, les plus charmantes de la littérature contemporaine. Je sais d’excellens juges qui les préfèrent aux Contemporains eux-mêmes, et qui ne craignent pas d’évoquer à leur sujet le dangereux souvenir de Montaigne. Je ne suis pas très loin d’être de leur avis.

C’est d’abord le même style souple, aisé, insinuant, et qui, suivant l’impression du moment, de l’émotion la plus pénétrante jusqu’à la plus fine raillerie, et même jusqu’à la drôlerie la plus funambulesque, remplit exactement tout « l’entre-deux. » Il est ici plus savoureux, plus piquant, plus dru que jamais ; il a des audaces de « jeune faune » qu’on ne passe qu’à lui, et qui, plus d’une fois, tiennent de la gageure ; M. Lemaître a certainement repoussé bien au delà de toutes les limites connues ce que les honnêtes gens peuvent tolérer en matière de familiarité ; voyez par exemple telle chronique sur le Théâtre libre ancien. L’austère Edouard Rod allait jusqu’à dénoncer dans ces inquiétans exercices de virtuosité « une pointe de cynisme. » Et un ingénieux critique, M. Georges Renard, écrivait à ce propos : « J’imagine qu’il a dû plus d’une fois faire trembler la pudeur des graves abonnés du Journal des Débats, et je ne jurerais pas qu’il s’est toujours borné à lui faire peur. »

Ces gaietés, j’allais dire, en songeant à celles de Ronsard, ces « folastreries » de style ne sont, bien entendu, que le moindre mérite de la critique dramatique de M. Jules Lemaître. On se tromperait fort si on la croyait dépourvue de toute valeur technique. Assurément, sur ce chapitre, l’auteur des Contemporains se surveille moins, a plus de nonchalance que M. Faguet et surtout que le terrible Sarcey : la pratique du théâtre l’a trouvé plus froid que le chroniqueur du Temps aux prouesses et aux roueries du métier, moins asservi aux routines du public, et la préoccupation de la « scène à faire » ne trouble ses rêves que d’une façon fort intermittente. Mais, quand il le veut, il sait tout comme un autre, et même mieux qu’un autre, « démonter » une pièce, l’examiner comme œuvre de théâtre, en faire voir le fort et le faible, et résoudre avec beaucoup d’élégance les problèmes d’algèbre dramatique où se complaisait l’ingéniosité d’un Scribe. Seulement, et il faut l’en louer, il est très rare qu’il s’en tienne là. Comme d’ailleurs presque tous les critiques