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c’est un nouvel édit, rayant, d’un trait de plume, quatre cent six places et emplois, dont beaucoup remontaient aux règnes des plus anciens rois et dont les appellations singulières évoquaient, selon l’expression d’une gazette, « la barbarie des siècles primitifs. » La majeure partie des emplois abolis de la sorte se référaient au service de la cuisine-bouche. Entraient dans cette catégorie : huit écuyers qui apportaient au Roi le bouillon du matin, seize hâteurs de rôts, chargés de veiller au rôti, six sommiers de broche, huit sommiers de bouteilles, quinze galopins, deux aides pour les fruits de Provence, deux avertisseurs à cheval, qui suivaient le Roi en campagne et dont la fonction principale était d’avertir l’office de la bouche de l’heure fixée pour le repas, quatre coureurs de vins, qui, à la chasse, portaient la collation du Roi dans un « baudrier de drap rouge, » deux conducteurs de la haquenée, qui, en voyage, accompagnaient le pain, les fruits, les confitures, le sel, la « tasse pour faire l’essai du vin, » et avaient pour mission spéciale d’empêcher tout retard dans la préparation de la table royale. Je ne poursuivrai pas plus loin cette burlesque énumération.

Un mois plus tard, le 30 septembre, une réforme de même espèce visait la chasse du Roi. Le personnel en était diminué de treize cents titulaires, gardes, piqueurs et valets de chiens. L’économie obtenue de la sorte montait à près de six millions. Les meutes et les chevaux étaient, bientôt après, réduits dans la même proportion.


Ce que ces amputations répétées soulevaient de lamentations, de colères, il est superflu de le dire. Le directeur général des Finances n’était accusé de rien moins que du crime de lèse-majesté ; certaines gens affirmaient qu’il « décomposait pièce à pièce » l’antique royaume de France[1]. Versailles retentissait de cris et de protestations, qui s’élevaient parfois jusqu’au trône. La comtesse de Brionne, mère du prince de Lambesc, grand écuyer du Roi, sur le bruit de réformes projetées dans le service des grande et petite écuries, s’essayait à parer le coup, venait trouver Louis XVI, cherchait à démontrer l’impossibilité des réductions en cause, mais le prince lui fermait

  1. Mémoires de Soulavie.