Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le lard est à lui dès qu’il en a levé deux tranches, le cuisinier n’est pas plus homme de bien qu’eux, ni l’écuyer, ni les cochers, sans parler du maître d’hôtel qui est le voleur major ; mais ce qui me chicane le plus, c’est que mes valets de chambre me disent : Monsieur, vous portez trop longtemps cet habit, il nous appartient. »

Grâce à des grappillages fructueux et tolérés, ceux-là peuvent se constituer un magot ; surtout s’ils ont la prudence de ne pas acheter des fonds publics ; parce qu’une de ces banqueroutes officielles, que la morale indulgente du temps permettait à l’État d’opérer de temps à autre sous le nom de « réduction de la rente des effets royaux, » risque de les dépouiller d’une partie de leur avoir. Ce fut le cas en 1770 où pareil retranchement rapporta 12 millions au Trésor en faisant le désespoir des laquais de Paris qui presque tous avaient ainsi placé leurs économies.

Entre ces valets prompts de la langue, de la main et du pied, artistes à l’occasion, car ils jouent passablement de la basse ou du violon, lorsque la mode l’exige, et le petit laquais rustaud de la comtesse d’Escarbagnas, tout proche du gardeur de dindons, il y avait le même abîme qu’entre la femme de chambre en robe de soie, fort avant dans la familiarité hautaine d’une marquise dont elle copie les façons et le langage, et la chambrière en sabots, vouée aux humbles besognes, qui n’a point vu le monde et ne saura jamais faire la révérence. Une publication satirique de 1636 additionne ce qu’une servante ordinaire, qui s’entendait à « ferrer la mule, » — ce que les modernes appellent « faire danser l’anse du panier, » — pouvait ajouter à ses gages, et fixe aux environs de 500 francs le total annuel de ces menus larcins. Inutile de dire que ce n’est là qu’une plaisanterie ; le bourgeois, sous Louis XIII, était trop resserré pour fermer les yeux sur les duperies ancillaires. Il s’est opéré à cet égard depuis le XVIIe siècle une sorte de nivellement, aussi bien parmi les domestiques que parmi les maîtres : les seigneurs de naissance ou d’argent sont devenus plus réglés que jadis, et la classe moyenne est devenue moins « regardante. »

Les servantes d’intérieur, dont le traitement varia au moyen âge de 40 francs par an à 200 francs, — en moyenne 110 francs, — ne recevaient plus depuis le XVIe siècle jusqu’à la Révolution qu’une allocation moyenne de 80 francs sur l’ensemble du