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territoire français. Et tandis que les « femmes de chambre » étaient payées 540 francs sous Louis XVI chez une grande dame à Paris, les servantes d’un notaire ou d’un curé gagnaient 50 et même 33 francs par an en Berry ou en Poitou.

Le simple fait d’une simple nourrice variait aussi étrangement de prix suivant les nourrissons : pour un enfant du roi de France, au XIIIe siècle, le traitement de la nourrice était de 2 880 francs ; il était de 380 francs chez le comte de Savoie et de 112 francs pour un enfant de l’hospice à Marseille (1306). Lorsque la nourrice d’une princesse touchait 700 francs par an à Angoulême, la nourrice de l’Hôtel-Dieu de Paris touchait seulement 45 francs (1517). Elle avait sans doute la table et le logement. Celles chez qui les hospices de Paris plaçaient les enfans trouvés à la fin de l’ancien régime recevaient 150 francs (1760) ; en province, elles se contentaient d’une centaine de francs.

Une pareille différence de traitement s’explique davantage lorsqu’il s’agit de rémunérer des talens professionnels comme ceux du cuisinier ; ce nom étant indistinctement porté suivant les circonstances par des artistes méritoires ou par d’indignes marmitons. Dans quelques maisons princières du moyen âge, où la table tenait la place que l’on sait, les valets ou « hâteurs » touchaient le double des « galopins » ou enfans de cuisine, les « compagnons » cuisiniers le double des valets, le maître-queux ou écuyer le double des compagnons. Cet officier supérieur des fourneaux recevait au XVe siècle des appointemens de 4 300 francs, presque identiques chez le duc de Bourgogne et chez la reine Anne de Bretagne ; les cuisiniers du vicomte de Rohan et du sire de La Trémoille étaient payés 600 francs, autant que le queux du duc d’Orléans, et le double des 320 francs, que gagnaient ceux de l’Hôtel-Dieu de Paris ou de l’évêque de Troyes. Aux derniers temps de la monarchie, des gages de 700 francs étaient encore alloués aux chefs de cuisine des maisons opulentes, mais le commun de la corporation ne dépassait pas 200 francs par an !

Et c’est même un curieux phénomène d’histoire sociale que le mouvement des chiffres nous révèle : la masse de la domesticité subit à partir du XVIe siècle la baisse générale des salaires qui atteignit toutes les formes du travail ; mais les serviteurs de luxe ne s’en ressentirent pas. Chez les grands seigneurs, dans