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les années qui. précèdent la Révolution, le maître d’hôtel avait jusqu’à 2300 francs, les valets de chambre de 770 à 540, les valets de pied de 500 à 310 francs. Ces gages, si l’on excepte quelques privilégiés, attachés à la personne des souverains, — encore le valet de chambre de saint Louis, en 1261, ne gagnait-il pas plus de 730 francs, — avaient été sensiblement les mêmes depuis le moyen âge.

Aux heures de crise, les maîtres réduisaient le traitement de leurs gens : tel gentilhomme, qui payait ses cochers 660 francs en 1700, ne les paye en 1709, l’année de la grande famille, que 250 francs, et le même valet, auquel il donnait 400 francs de 1704 à 1706, rentre chez lui en 1709 pour 200 francs. Mais en général les services de la domesticité d’élite demeuraient sous Louis XV aux mêmes taux où ils avaient été sous Charles VIII ou sous Philippe le Bel : le valet de chambre du duc du Maine (1736) touchait 570 francs comme ceux du comte d’Angoulême (1497) et le valet du poète Malherbe gagnait 375 francs (1620) comme ceux de la comtesse de Savoie (1299) ; tel est aussi, dans le Joueur (1696), le chiffre réclamé par le valet Richard que son maître a baptisé Hector, en l’honneur du valet de carreau.

Au contraire, les marchands, les magistrats de province, la petite noblesse, les hospices, les collèges, les curés et toute la bourgeoisie payèrent leurs domestiques mâles de 75 à 160 francs par an depuis 1550 jusqu’à 1789, c’est-à-dire un tiers ou moitié moins que dans les siècles précédens où ces serviteurs étaient payés de 120 à 280 francs. Si, en face des gages décroissans de la foule, les gages des domestiques de choix se maintinrent ainsi à un taux élevé, c’est sans doute que leur recrutement devenait moins aisé, que la classe d’où ils sortaient jadis avait d’autres visées et trouvait dès le XVIIIe siècle d’autres débouchés que le service personnel pour son intelligence et son instruction.

La destinée de chacun ne dépend-elle pas de l’ambiance des heures et des lieux où le hasard le fait naître, autant que de ses propres aptitudes ? D’un hercule héroïque et illettré, de la plus humble origine, la société féodale fit souvent un baron, maître d’un gros fief ; notre démocratie en fait à peine un ser- gent-major, décoré de la médaille militaire. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’adroit maniement des impôts menait à tout