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et l’unanimité de l’opinion que le « splendide isolement » dont, naguère encore, ils se montraient si fiers, ne répondait plus aux besoins de la Grande-Bretagne, ni à la situation générale de l’Europe. De fait, l’histoire se demandera comment, si peu de mois après Fachoda, la politique franco-russe n’a pas réussi à tirer quelque avantage des embarras de l’Angleterre et, si elle restait neutre, à se faire payer à sa valeur sa neutralité. Il est possible qu’il faille chercher l’explication de cette énigme dans les velléités contradictoires de la politique allemande. Si l’Allemagne avait réellement souhaité un rapprochement avec la France et la Russie pour une collaboration active hors d’Europe, elle aurait pu saisir l’occasion tentatrice ; elle ne le fit pas, ou ses avances furent si peu précises qu’on put se demander si elle n’avait pas l’arrière-pensée, — comme jadis Bismarck avec Napoléon III dans l’affaire de Belgique et celle du Luxembourg, — de provoquer de notre part des propositions confidentielles dont elle aurait, ensuite, cherché à se prévaloir auprès de l’Angleterre. Guillaume II s’est vanté, plus tard, dans la fameuse interview du Daily Telegraph (28 octobre 1908), d’avoir alors sauvé l’Angleterre d’une intervention européenne. L’abstention de l’Allemagne montre bien le caractère superficiel de ses velléités de politique anti-anglaise. On ne comprend bien la politique personnelle de Guillaume II que si on se le représente gardant toujours au fond du cœur le désir de s’entendre avec l’Angleterre. Jamais, entre les deux Cours ni entre les deux gouvernemens, le fil n’est coupé, et, au moment où les rapports paraissent le plus tendus, une porte reste ouverte à un rapprochement : « l’exemple de la France prouve qu’on peut toujours se réconcilier avec l’Angleterre, » a dit dans un discours le prince de Bülow. La France et la Russie furent mal récompensées de leur neutralité, car le premier traité d’alliance que conclut la Grande-Bretagne, au sortir des éprouves de la guerre africaine, fut avec le Japon (30 janvier 1902), et il en sortit la guerre de Mandchourie qui allait, pendant plusieurs années, nous laisser pratiquement sans alliés.

L’alliance avec le Japon garantissait à l’Angleterre la tranquillité de son empire des Indes et le maintien du statu quo en Chine : c’était la sécurité assurée en Asie. La paix, suivie d’une politique de réconciliation aussi habile que généreuse,