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impérial ignorait tout des accords intervenus au sujet du Maroc et ne se reconnaissait pas comme lié en aucune manière relativement à cette question. » L’avertissement était clair : il était encore temps de négocier, et, puisqu’on avait payé le Maroc à l’Angleterre, à l’Italie et à l’Espagne, d’essayer une tractation analogue avec l’Allemagne. On n’en fit rien. Le 12 mars on apprit que Guillaume II, au cours d’une croisière dans la Méditerranée, s’arrêterait à Tanger. Le 29, le chancelier explique clairement les intentions de la politique allemande. A Lisbonne, l’Empereur hésite cependant encore. A Tanger même, il fait demander au commandant du navire français en rade si le temps est sûr et si l’on peut débarquer ; on dirait qu’il attend une communication du gouvernement français. Enfin il débarque : « C’est au Sultan, en sa qualité de souverain indépendant, que je fais aujourd’hui ma visite. J’espère que, sous la souveraineté du Sultan, un Maroc libre restera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur le pied d’une égalité absolue. Ma visite à Tanger a eu pour but de faire savoir que je suis décidé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauvegarder efficacement les intérêts de l’Allemagne au Maroc, puisque je considère le Sultan comme souverain absolument libre... » Derrière l’Empereur, reparaît le comte de Tattenbach, l’homme du Maroc allemand d’avant 1896, qui se rend en mission à Fez. Le 12 avril, une circulaire diplomatique précise le point de vue allemand. L’Allemagne se pose en tutrice des intérêts généraux de l’Europe et réclame la réunion d’une Conférence à laquelle participeront les signataires de la convention de Madrid en 1880. Le conflit est engagé ; il est désormais trop tard pour nous y dérober ; à propos du Maroc, c’est un conflit européen.

Précisons bien, avant d’aller plus loin, quelle fut l’erreur du ministre des Affaires étrangères. Elle n’a pas été de vouloir établir au Maroc la suprématie française : c’était la suite logique et nécessaire de toute notre expansion africaine, à la condition d’en bien choisir l’heure et les moyens. Elle n’a pas été de chercher un rapprochement avec l’Angleterre : nos litiges coloniaux une fois réglés, l’heure de ce rapprochement était arrivée. L’Angleterre nous apportait une force diplomatique et navale considérable. Mais réaliser une « entente cordiale » avec elle à propos du Maroc, c’était risquer de mêler les questions européennes