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nous obtenions à peu près gain de cause. C’est plutôt « incompréhension » qu’il faudrait dire et « incertitude. » L’Allemagne était résolue à profiter des désastres de la Russie en Extrême-Orient pour reconquérir cette hégémonie politique de l’Europe qu’elle n’avait vraiment exercée que de 1870 à 1875. On verrait, à la Conférence, l’Aigle impérial allemand étendre ses ailes protectrices sur le Maroc et se faire le champion des intérêts généraux de l’Europe menacés par les ambitions françaises. Mais le prince de Bülow ne se décida pas à choisir entre la politique d’hégémonie et la politique des bénéfices immédiats. Si, au lendemain de la démission de M. Delcassé, il avait agi comme il a parlé, dans un esprit de concorde, si, selon la formule qui devait apparaître plus tard, il s’était désintéressé politiquement du Maroc, la face des choses et l’allure de la politique européenne auraient pu se trouver modifiées. Au lieu de prendre délibérément ce parti, M. de Bülow exigea la Conférence. Mais il n’arrêta ni le comte de Tattenbach, ni les agens allemands qui travaillaient au Maroc ; et il ne s’aperçut pas de cette contradiction dont il allait éprouver les effets à Algésiras. Ses attitudes, parfois intempestives, ses efforts, qui souvent dépassèrent le but, pour détacher de la France soit la Russie, soit l’Angleterre, aboutirent à un résultat tout opposé et resserrèrent les liens qu’il avait voulu briser. La solidité de l’alliance franco-russe ne faisait pas question, et, après la paix de Portsmouth, la Russie allait peu à peu restaurer sa capacité d’action. Quant à l’entente anglaise, elle allait trouver à Algésiras la confirmation de son utilité et la mesure de son efficacité.

L’histoire de la Conférence a été faite par M. André Tardieu. Il faut recourir à son livre[1], pour suivre la campagne diplomatique menée par l’Allemagne pendant la Conférence d’Algésiras. Séduction et intimidation, promesses et menaces, fausses nouvelles et affirmations mensongères, le prince de Bülow a tout mis en œuvre. L’Empereur lui-même s’est jeté dans la lutte, télégraphiant par trois fois au président Roosevelt, écrivant au comte Witte, au Tsar, travaillant les souverains, flattant les puissans, intimidant les faibles. L’Allemand n’a pas le sens de la mesure. Le gouvernement de Berlin, pendant les négociations d’Algésiras, a dépassé toute mesure ; il a froissé tous les amours-propres,

  1. La Conférence d’Algésiras (Alcan, in-8). Cf., du même : la France et les alliances (Alcan, in-16, 3e édition).