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menacé tous les intérêts, blessé toutes les indépendances. L’Europe crut voir Bismarck réapparaissant pour la régenter et portant la main à son sabre dès qu’une résistance osait se dresser en face de lui. Devant ce fantôme, qui n’était qu’un fantôme, l’Europe s’est insurgée ; elle n’a pas plié. Le terrain était mauvais pour l’Allemagne, et il devint bien vite évident, surtout pour les puissances qui, comme les États-Unis, n’étaient pas directement intéressées dans les affaires marocaines, que la France seule était en mesure d’acclimater au Maroc les réformes et l’ordre nécessaires pour ouvrir le pays au commerce et à la civilisation. En sorte que les véritables mobiles de l’Allemagne, qui cherchait à la Conférence un succès de politique générale, s’estompèrent, pour ne laisser en pleine lumière que ses résistances qui, appliquées aux propositions très raisonnables de la France, parurent s’inspirer d’un esprit de jalousie et de tracasserie intolérable. Le comte Lamsdorf a pu parler un jour de « la réprobation de l’Europe » que l’Allemagne a soulevée contre elle pendant la Conférence d’Algésiras. L’internationalisation, que voulait l’Allemagne, ne fut finalement pas admise par les puissances. La France et l’Espagne furent seules chargées de la police des ports. Au vote qui, comme on le sait, eut lieu sur une simple question d’ordre du jour, mais qui n’en fut pas moins la bataille décisive où se mesurèrent les deux partis M. de Radowitz n’eut avec lui que deux voix, celle du Maroc et celle de l’Autriche. Encore faut-il noter que, durant la Conférence et surtout aux approches de sa conclusion, le rôle de l’Autriche fut beaucoup moins celui d’un « brillant second » que d’un médiateur utile aux deux partis. À plusieurs reprises, tant à Algésiras qu’au cours des années suivantes, l’empereur François-Joseph, le comte Goluchowski et, après lui, le comte d’Æhrenthal, sans se départir de la fidélité invariable à leur allié, nous ont donné des preuves précieuses de leur amour de la paix et de l’indépendance de leur politique. L’Italie, représentée par le marquis Visconti-Venosta dont les interventions eurent tant de poids à Algésiras, dès lors qu’il s’agissait d’une question méditerranéenne, avait ses intérêts plus directement engagés avec l’Angleterre et la France que du côté de la Triple-Alliance ; son altitude favorable aux thèses et aux propositions françaises produisit sur la Conférence une impression très vive, irrita particulièrement les Allemands et