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que les Allemands veulent y entreprendre. Les deux parties ont donc un intérêt puissant à vivre en bonne intelligence. On pourrait presque dire, en forçant un peu les termes, que le traité nous oblige à l’entente ou nous achemine au conflit. En tout cas, il nous oblige à des relations fréquentes, à des conversations diplomatiques multipliées, à des associations d’intérêts, et c’est dans ce sens que l’on a pu dire que le traité du 4 novembre n’est encore, lui aussi, qu’une étape ; il nous ramène, par des négociations nouvelles, à la méthode ancienne. C’est le danger du traité, comme c’en est peut-être l’avantage. Il eût été plus facile de continuer, après 1898, des conversations dignes et correctes avec l’Allemagne qu’il n’est aisé, après tant d’incidens pénibles, d’en reprendre le cours.

Et pourtant, n’est-il pas grand temps, pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe, de sortir de cette période d’alarmes et de troubles qui dure depuis bientôt dix ans et qui n’a de comparable, dans l’histoire que nous venons de parcourir, que l’époque allant de la fin de la guerre aux approches du Congrès de Berlin. Chaque année presque, les deux nations passent par des jours d’angoisse où elles se demandent si elles ne vont pas, dans la plus épouvantable ruée d’hommes que le monde ait jamais vue, se jeter lune sur l’autre. L’opinion, des deux côtés des Vosges, s’énerve ; des deux côtés, certains journaux et certains partis se font une réclame de la surenchère patriotique. « A force de peindre le diable sur le mur, disait Bismarck, on finit par le faire apparaître. » Il ne faudrait pas mettre trop souvent à l’épreuve les nerfs de deux peuples qu’animent l’un contre l’autre de tels souvenirs, encore si récens. Deux grandes démocraties au travail ne vont pas à la guerre d’un cœur léger, mais elles peuvent y être entraînées, si leurs intérêts vitaux ou leurs sentimens profonds entrent en jeu. L’Allemagne est mécontente ; elle souffre ; elle traverse une crise intérieure, crise politique, sociale et économique à la fois, dont les origines complexes ont été fortement analysées par M. Moysset, dans un livre récent[1]. Un conflit latent dresse l’Allemagne industrielle et démocratique de l’Ouest et des grandes villes en face de la Prusse rurale, monarchique et féodale des hobereaux de l’Est. Les 4 millions de voix socialistes qui viennent de monter

  1. L’Esprit public en Allemagne vingt ans après Bismarck (Alcan, in-8).