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à la surface de la pâte électorale allemande sont l’indice du puissant levain d’aspirations libérales et de colères prolétariennes qui fermente dans les profondeurs obscures de ce peuple dont Bismarck a forgé une nation. Ce mécontentement sourd, s’il ne reçoit pas ses apaisemens à l’intérieur, peut faire irruption au dehors. Un courant belliqueux s’est manifesté au cours des derniers incidens et les excitations pangermanistes ont trouvé de l’écho chez un peuple qui saisit chaque occasion de montrer à ses maîtres un visage irrité. On raconte que, dernièrement, l’Empereur aurait dit : « Je ne connais que deux hommes en Allemagne qui ne soient pas pour la guerre, c’est le chancelier et moi. » Ce sont les timoniers du grand navire ! Si cette boutade répondait à une vérité, ce serait à une vérité d’apparence et de surface. L’Empereur, en restant pacifique, demeure l’interprète des volontés profondes de son peuple et le gardien de ses intérêts permanens. Mais si le vent de fronde qui se lève sur l’Allemagne allait jusqu’à mettre en question l’autorité de l’Empereur ou celle du roi de Prusse, il pourrait arriver que la guerre devînt, pour lui-même, une solution nécessaire. Il y a tout lieu d’espérer que les choses n’en viendront pas à cette extrémité et que Guillaume II restera, pour sa gloire et pour le bonheur de son peuple, ce qu’il a été jusqu’ici : l’Empereur de la Paix. Le chancelier M. de Bethmann-Hollweg, dont les discours et les actes rendent un son de loyauté et de sincérité, ne sera pas, pour son empereur, un conseiller belliqueux. Comme son maître, il voit bien ce que l’Allemagne pourrait perdre à la guerre, moins bien ce qu’elle pourrait y gagner.

Mais l’Empereur n’est pas seulement un ami de la paix, il souhaiterait d’être un ami de la France. Il le dit chaque fois que l’occasion s’offre à lui. Il le dit, en juin 1907, à M. Etienne, il le dit à tous les Français de marque qu’il se plaît à rencontrer et à accueillir, il le dit même à Coquelin et à Réjane. Au printemps dernier (1911) il disait, à un ambassadeur accrédité à Berlin, à peu près ceci : « Je suis inquiet pour l’été prochain. Je suis las de tendre la main à la France, qui ne veut pas la voir. » Voilà précisément le danger, et l’on s’étonne que l’esprit si compréhensif de l’Empereur ne soit pas, sur ce point, plus perspicace que l’opinion moyenne des Allemands. L’amitié ne s’impose pas, elle se gagne Cette main allemande qui lui est tendue, la France ne peut pas la prendre, et la manière dont