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celle-là poursuit la réparation d’une injustice. La permanence de ce problème angoissant, qui se dresse en face de la France comme un remords et comme une espérance, est pour elle, en un certain sens, un immense bienfait : elle lui donne cette éducation du cœur dont toutes les nations ont besoin, car les nations, comme les individus, vivent de grandes pensées qui viennent du cœur. Aux heures douloureuses que nous venons de traverser, le pays tout entier a vibré à l’unisson d’un même sentiment ; cette unanimité d’un peuple dont tous les cœurs battent sur le même rythme, c’est la grande force des siècles démocratiques. Notre pays, une fois de plus, a vu plus juste et plus loin que son gouvernement ; il a redressé la direction au moment critique. Quand un de ces grands frissons passe sur la France, on peut tout lui demander : comme le souffle du vent du large est plus puissant que les voiles qui le recueillent et que les antennes qui l’orientent, ainsi l’élan de l’âme française domine ses gouvernemens successifs : il leur confère ce qu’ils ont, en dernière analyse, de vie pleine et de force immortelle. Mais il faut donner à ce peuple une politique qu’il comprenne, parce que c’est lui qui en est le support et lui qui en souffre, si elle est mauvaise. L’opinion est reine du monde, mais il faut l’éclairer et ne pas la tromper. Les anciennes monarchies pouvaient se livrer à des combinaisons subtiles, à des intrigues compliquées ; la méthode de Machiavel exige le gouvernement d’un seul, puisqu’elle postule le secret absolu. Telle ne peut pas être la politique d’une démocratie ; mais une démocratie peut avoir une politique. La nôtre, depuis plus de quarante ans, en dépit des « sollicitations téméraires ou jalouses, » n’a rien précipité, ni rien oublié : il arrive que la mémoire des peuples est plus longue que celle des rois, parce que les défaillances individuelles n’empêchent pas le dépôt sacré de se transmettre de la génération qui passe à celle qui vient. Que ceux qui gouvernent la France mettent donc leur confiance en elle ; elle les portera, s’ils la servent bien. « Il faut que la France soit forte et sage, disait Gortchakof à Gontaut-Biron, en 1872. Il faut qu’elle soit forte pour qu’elle puisse jouer dans le monde le rôle qui lui est assigné. »


RENE PINON.