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claire, le bon ordre, la composition bien aménagée, le plan visible au lecteur et facilement aperçu par lui. Eux aussi sont des Français, très Français. Hugo compose très bien, avec le plus grand soin ; tout autant Gautier ; presque autant Lamartine et Musset ; Vigny moins rigoureusement, mais non sans diligence encore. Il n’y a pas, au point de vue des qualités d’ordonnance, de différences sensibles entre la littérature classique et la littérature romantique.

Pour ce qui est de la langue, les différences sont profondes. Ce qui frappait le plus en 1830 les fervens de l’école classique, c’était, chez les romantiques, le « matérialisme du style, » le « matérialisme de l’expression. « Cela voulait dire que les romantiques ne parlaient plus une langue abstraite. Cela voulait dire encore plus qu’ils pensaient par images, directement par images. Quand les classiques emploient une image, on peut affirmer presque sans crainte que cette image est une traduction, parfois aisée, parfois laborieuse, mais une traduction. Le romantique pense par images ; c’est l’image qui lui donne l’idée, ou plutôt imago et idée se présentent en même temps, liées et connexes, à sa pensée. Cela distingue les romantiques essentiellement, non seulement de l’école néo-classique ou pseudo-classique, mais de l’école classique elle-même. Et il n’y a pas de différence plus profonde entre deux écoles que la différence entre elles des langues parlées par l’une et par l’autre ; car la langue que l’on parle est le signe même de la façon dont on pense, de la façon dont on sent et de la façon dont on voit. La langue que. l’on parle est caractérisation ethnique quand il s’agit de peuples, spécifique quand il s’agit d’écoles, personnelle quand il s’agit d’individus. Si quelques témoins de 1830 se sont trompés, sur la question de savoir qui étaient les romantiques et qui étaient les classiques de leur temps, c’est qu’ils se sont attachés au fond, ou à ce qu’ils croyaient, le fond, et non à la forme qui, en pareille affaire, est le vrai fond ; c’est qu’ils ont rangé sous l’étiquette de romantiques tous ceux qui étaient ennemis de Voltaire, tous ceux qui avaient quelques tendances religieuses, et, sans tenir compte de leur tour de sensibilité et de leur tour d’imagination, et cela était précisément le principal.

Considéré en sa versification, le romantisme, d’abord, est un peu inventeur, et ensuite et surtout, — M. Pellissier l’a bien remarqué, — il est surtout imitateur de la Pléiade. Il a cherché