Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plaie vive qui ronge la monarchie, l’abus, le déplorable abus des pensions et des grâces, poids écrasant pour les finances, cause permanente de déficit pendant tout le XVIIIe siècle. C’est une question assez considérable pour qu’il me soit permis de m’y arrêter un moment.

Quel est exactement, au temps dont nous nous occupons, le total des pensions et des allocations annuelles consenties par le Roi, il est bien difficile de le déterminer, le mode de comptabilité en usage sous l’ancien régime ne fournissant, pour ce calcul, aucune base certaine et précise. Necker, dans son célèbre Compte rendu de 1781, l’évalue à 28 millions. De nos jours, M. Stourm, dans la belle et savante étude à laquelle je me suis fréquemment référé[1], pense qu’on peut adopter, d’une manière approximative, le chiffre de 32 millions. Nous sommes encore loin, à coup sûr, des chiffres fabuleux allégués par les pamphlétaires de la Révolution. L’excès n’en est pas moins flagrant, surtout si l’on considère que, comme l’ont démontré de rigoureux calculateurs, pour toutes les autres monarchies d’Europe, l’ensemble des dépenses inscrites sous cette rubrique ne passe pas 14 millions.

Quoi qu’il en soit, pour rester équitable, on doit, sur ce chapitre, faire une distinction nécessaire. Il faut grouper à part, comme constituant une dépense légitime, les pensions, les indemnités, les gratifications, civiles ou militaires, qui récompensent à juste titre les services rendus à l’Etat, en se gardant de les confondre avec les faveurs abusives, tout au moins arbitraires, accordées par le Roi, selon son bon plaisir, à tel ou tel personnage de la Cour. C’est sur ce dernier point que les mœurs établies offrent un vrai scandale. On a peine à imaginer quel flot de sollicitations, de toutes parts, à toute heure, assaillent le Roi, la Reine, leur entourage, les ministres, les gens en place. Pour augmenter ou pour rétablir sa fortune, pour marier ses enfans ou pour payer ses dettes, on compte toujours sur la cassette royale, on tend la main infatigablement, sans scrupule, sans vergogne. Jadis, sous Louis XIV et surtout sous Louis XV, quand un grand seigneur convoitait une faveur de ce genre, il courtisait la favorite ; il s’adresse maintenant à la Reine et à sa société ; » c’est la seule différence qu’ait amenée le changement

  1. Les finances sous l’Ancien régime..., passim.