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il était aussi réaliste et il a voulu l’être. Il était un romantique dont le réaliste qui était aussi en lui se moquait amèrement, et il a tiré de cet exercice un grand profit pour son art, quand il s’est agi de peindre une romanesque ridicule. Il était donc romantique et réaliste. Seulement, averti par l’exemple de Balzac ou simplement par son goût, il n’a pas mêlé ses deux tendances et il a donné cet exemple, peut-être unique, d’un homme qui écrit tantôt un livre exclusivement romantique, tantôt un livre exclusivement réaliste, même (presque) avec une alternance significative. On pourrait même ajouter que, comme psychologue minutieux, dans Madame Bovary et dans l’Education sentimentale, il a quelque chose de l’art classique, ce qui confirmerait encore cette idée que l’art réaliste n’est pas si loin de l’art classique. Je n’y contredirai point très fort ; je me bornerai à dire que Flaubert, s’il est capable d’analyse minutieuse, ne l’aime point singulièrement et le plus souvent nous donne à deviner par les gestes du personnage ce qu’il est et ce qu’il devient, plutôt qu’il ne nous le dit ou le lui fait dire. L’art classique est contenu ou refoulé, chez Flaubert, par l’art réaliste qui, tout compte fait, est surtout incompatible avec celui-là

Enfin Leconte de Lisle est considéré par M. Pellissier comme un réaliste, ce qui peut étonner un peu. Entendez bien : M. Pellissier le considère comme réaliste parce qu’il aime l’érudition, l’archéologie, c’est-à-dire les faits, et parce qu’il a horreur de la littérature personnelle ou confidentielle. Cela est assez spécieux ; mais cependant, on entendra toujours par réaliste l’écrivain curieux et amoureux des faits qui l’entourent, des faits qu’il peut observer lui-même ; et celui qui s’intéresse aux faits que l’on trouve dans les livres, dans les musées et dans tous les « monumens » est beaucoup plus, est essentiellement un humaniste. Leconte de Lisle est un humaniste avec une imagination (goût de la description, de la couleur, de la sculpture et du grandiose) toute romantique.

D’autre part, son horreur de la littérature personnelle est une attitude à laquelle il a été cent fois infidèle. Cent fois il nous a dit et même crié ses sentimens intimes, qui sont le pessimisme, l’horreur de la vie, l’impatience de la mort. Leconte de Lisle est un Vigny érudit et aussi, tant comme érudit que comme pessimiste, il a beaucoup de Chateaubriand. Encore que très