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de Saint-Pierre. Mais il nous a entretenus de Balzac, et surtout de Leconte de Lisle et de Flaubert. Son raisonnement, à ce qu’il m’a semblé, est celui-ci : Vous voyez bien que le romantisme contenait le réalisme, puisqu’il y a tant de réalisme chez des romantiques authentiques comme Balzac, Flaubert et Leconte de l’Isle ; ou puisqu’il y a tant de romantisme chez d’authentiques réalistes, comme Balzac, Leconte de Lisle et Flaubert. Cela prouve seulement pour moi qu’il y a des hommes complexes ou qu’il y a des hommes partagés entre diverses tendances. Pour moi, Balzac est surtout réaliste. Il est le premier, nettement du moins, qui ait dit aux écrivains et par son exemple : Regardez les choses, découvrez, à les regarder fixement, la physionomie des choses ; regardez aussi les hommes, mais attachez une très grande importance à leur figure extérieure ; elle est infiniment révélatrice de leur être intérieur et du reste, en elle-même, elle est infiniment intéressante. Il est, pour moi, avant tout réaliste. Seulement, il est romantique aussi parce qu’il est romanesque, et, s’il peint minutieux, il peint aussi colossal avec une certaine complaisance, et enfin il est même classique par sa façon de montrer chaque personnage dominé par une passion unique, ce qui est la manière de La Bruyère, et par une passion qui va sans cesse grandissant et se fortifiant jusqu’à la folie ou jusqu’au voisinage de la folie, ce qui est la manière de Molière et de Racine. Il est réaliste, il est romantique, il est classique, et c’est-à-dire qu’il est très riche.

Cela n’empêche point que le réalisme ne soit irréductible au romantisme et au classicisme, car ces dons divers dans Balzac se contrarient, font des dissonances, et les réalistes, élèves de Balzac, ont bien senti que de Balzac il fallait abandonner, par exemple, le romantisme, pour obéir et à leur tempérament et à leur doctrine.

— Mais non pas abandonner ce qu’il avait de classique, ce qui prouverait qu’entre le réalisme et le classicisme il y a moins de distance qu’entre le réalisme et le romantisme.

— J’en conviendrai ; mais en faisant remarquer que ce que Balzac a de classique n’est qu’un trait du classicisme et non pas le plus important et n’est presque qu’un procédé, non une partie essentielle et fondamentale.

De même Flaubert est romantique et réaliste. À mon avis, il est surtout romantique, de tempérament essentiel. Seulement,