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hors d’usage, l’Angleterre devrait encore augmenter les siennes. Eh bien ! elle les augmentera : ne vaut-il pas mieux se battre sous cette forme qui ne fait couler que de l’argent que sous celle qui fait couler du sang ? Les flottes de guerre périront sans avoir été employées ; elles vieilliront même à mesure qu’on les construira ; elles seront remplacées par d’autres qui auront le même sort. Mais, en dépit de ces précautions, la guerre restera toujours possible, et qui sait si le jour ne viendra pas où l’impatience des peuples, écrasés sous un poids de plus en plus lourd, précipitera les unes contre les autres ces immenses machines dont la dernière survivante se déclarera victorieuse de toutes les autres ? Une fatalité inexorable, plus forte par les volontés des hommes, semble pousser vers des destinées inconnues.


Nous continuons d’avoir sous les yeux le spectacle d’une guerre d’un genre particulier : on peut la qualifier de stagnante. En dépit de leur bravoure, qui est très grande, les Italiens n’avancent pas dans la Tripolitaine : ils rencontrent devant eux des difficultés et des obstacles que le courage seul ne suffit pas à surmonter et qui vont devenir encore plus grands avec la saison chaude. On peut prévoir le moment prochain où les opérations militaires devront être suspendues, à moins qu’elles ne soient portées sur un autre terrain. Mais lequel ? Il ne suffirait pas de bombarder quelques places fortes, ni de débarquer dans une ou dans plusieurs îles de la mer Egée pour mettre fin aux hostilités : quant à forcer les Dardanelles, c’est une grande entreprise, et même, si on en suppose le succès, serait-il décisif ? Les Italiens seraient peut-être aussi embarrassés dans la mer de Marmara devant Constantinople qu’ils le sont dans la Méditerranée devant les côtes inhospitalières de la Tripolitaine : et ils trouveraient partout des intérêts européens à ménager.

On sait que la Russie, — nous en avons parlé il y a quinze jours, — a pris une initiative qui prouve son désir, partagé d’ailleurs par toutes les puissances, de voir la guerre se terminer. Il ne s’agit pas d’une médiation ; l’heure n’en est point venue ; mais les deux puissances belligérantes étant placées l’une vis-à-vis de l’autre dans une situation qui leur rend difficile d’échanger directement leurs vues, la Russie a pensé qu’on pouvait leur servir d’intermédiaire. Elle ne se faisait certainement pas d’illusion sur l’inefficacité immédiate de cette démarche ; elle savait bien que la guerre n’était pas en quelque sorte assez mûre pour porter ses fruits dans un sens ou dans l’autre ; mais elle a cru