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qu’on en hâterait la maturation en provoquant les explications des deux parties : intention assurément excellente, à laquelle il était difficile de ne pas s’associer. Malheureusement, les explications que nous sommes allés chercher à Rome ne pouvaient pas nous apprendre grand’chose et ne nous ont effectivement rien appris. L’Italie s’était enchaînée d’avance en proclamant par décret l’annexion de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, qu’elle appelle pompeusement la Libye, et en faisant ratifier ce décret par le Parlement. Elle demande aujourd’hui que la Porte reconnaisse cette annexion, moyennant quoi elle serait de facile composition sur le reste ; mais c’est justement cette reconnaissance que la Porte ne veut pas et probablement ne peut pas faire. Une politique plus réaliste aurait cherché ailleurs des satisfactions plus faciles et plus solides.

Là, en effet, est la pierre d’achoppement contre laquelle l’Italie est venue se heurter et se heurteraient inutilement avec elle les puissances qui, au moins à l’heure où nous sommes, voudraient obtenir de la Porte l’abandon d’une province que le sort de la guerre ne lui a pas encore arrachée. Le gouvernement ottoman a des devoirs envers les populations arabes qui sont liées à lui par un double lien, politique et religieux : le lien politique peut, en fait, être tranché par la guerre, le lien religieux doit subsister. Il n’est sans doute pas impossible de trouver, on trouvera un jour la forme sous laquelle l’événement s’accomplira : fata viam invenient, comme disaient les vieux Romains. Mais, en attendant, que répondre à la Porte lorsqu’elle fait remarquer qu’à l’exception des ports de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, elle est toujours maîtresse du pays, et qu’elle ne peut ni le céder, ni seulement l’évacuer, sans provoquer dans tout le monde arabe un soulèvement dont elle serait aussitôt victime ? Au surplus, l’évacuation de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque par les troupes turques ne serait pas chose facile, même si le gouvernement ottoman se résignait à y procéder. La Libye est un territoire immense où les voies de communication n’existent pas et les troupes turques y sont disséminées par petits paquets à de grandes distances les unes des autres, de telle sorte qu’il faudrait longtemps pour les prévenir, les réunir et les faire refluer jusqu’aux ports d’embarquement. Des personnes très renseignées assurent même qu’il y aurait là un problème insoluble, car les troupes turques risqueraient fort de désobéir aux ordres qui leur seraient donnés dans ce sens, et si, au contraire, elles y obéissaient, les Arabes s’opposeraient à leur exécution par la force. On semble croire à Rome qu’il suffirait d’un ordre venu